Le procès du despote de Monrovia, bourreau du Sierra Leone, s'est ouvert aujourd'hui à La Haye devant la justice internationale. En son absence. L'ex-président libérien a refusé lundi matin de comparaître devant ses juges et a dénoncé dans une lettre lue à l'ouverture de son procès lundi à La Haye l'inégalité des moyens entre l'accusation et la défense.
EN DÉVOILANT ce matin ses arguments contre Charles Taylor, le procureur n'aura que l'embarras du choix. En presque deux décennies de carrière, l'ex-président libérien s'est appliqué à visiter le mal, dans tous ses arcanes. Les onze chefs d'inculpation retenus par la justice internationale les déclinent, dans une froide grammaire juridique : crimes de guerre, crimes contre l'humanité, viols, pillage... Délocalisé à La Haye, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), devant lequel s'est ouvert ce matin le procès du dictateur déchu, se contentera pourtant d'effleurer la trajectoire sanglante de Charles Taylor. Les magistrats ne se penchent que sur les crimes commis en Sierra Leone, pays miroir de son voisin le Liberia, pendant près de onze ans d'horreur ordinaire. La guerre civile y a au moins fait 200 000 morts, un peu moins qu'au Liberia. Mais aux récits des souffrances de Freetown, on pourra deviner en filigrane ceux de Monrovia, ville ravagée en parallèle par les mêmes enfants tueurs, les mêmes violeurs en série, les mêmes chefs de guerre, avec comme même sinistre inspirateur, Charles Ghankay Dahkpannah Taylor.
Rien ne semblait destiner ce petit homme rond à une vie de despote caricatural. Il voit le jour en 1948 dans une famille aisée de cette petite caste d'américano-libériens qui a fondé le pays un siècle plus tôt et le dirige depuis sans partage. Une origine sociale et un diplôme péniblement glané aux États-Unis lui ouvrent les portes du gouvernement. Le pays est agité. Le président William Tolbert a été renversé et assassiné en 1980 par un sergent-chef, Samuel K. Doe. L'ambiance de corruption et de violence naissantes ravit le jeune Taylor. En quelques mois il fait preuve de ses capacités mafieuses, raflant le moindre dollar passant à sa portée jusqu'à y gagner le surnom de Superglu. Samuel Doe prend ombrage de cette voracité. Taylor prend la fuite vers Boston où il est arrêté puis incarcéré.
Un concours d'atrocités
La CIA a-t-elle prêté la main à son évasion des geôles américaines comme le veut la rumeur ? On l'ignore toujours. Seule certitude, Taylor s'enfuit et regagne l'Afrique de l'Ouest, entre Ghana, Sierra Leone et Burkina où il scelle des amitiés et son destin. Dans la nuit de Noël 1989, avec une poignée d'hommes rencontrés dans un camp d'entraînement libyen, il se lance à l'assaut de Monrovia. Il promet démocratie, richesse et bonheur. Le Liberia ne connaîtra que l'horreur. La campagne de terreur imposée sciemment par les seigneurs de la guerre n'a aucune limite. Les Small Boys Unit, des hordes de gamins enrôlés de force, drogués jusqu'aux yeux, se lancent dans un sordide concours d'atrocités sans nom. En 1991, pour contrôler les champs diamantifères, Taylor exporte sa sale guerre à la Sierra Leone, armant l'un de ses compagnons d'arme, Foday Sankoh. L'élève mystique va se montrer digne du maître, plongeant la Sierra Leone dans un bain de sang.
En 1997, après une trêve signée sous l'égide de la communauté internationale, Charles Taylor, sous la menace, se fait élire président. Le guérillero aventurier se mue alors en roi mafieux, pillant avec conviction et l'aide de quelques compagnies occidentales peu regardantes, les richesses naturelles du pays. Selon des ONG, le président aurait ainsi accumulé près de 150 millions de dollars. En 1999, une nouvelle rébellion, le Lurd, se forme depuis la Guinée. En 2004, elle sera aux portes de Monrovia. Taylor, une fois de plus, menace. Et, une fois de plus, triomphe. Pour éviter un nouveau massacre, la communauté internationale le laisse s'exiler au Nigeria. Mais la bonne étoile de Taylor a pâli. En 2006, il est arrêté et livré à la justice. Peu avant, au Liberia, Ellen Johnson Sirleaf avait été élue. Sur les murs du palais de Monrovia, la nouvelle présidente a fait effacer la devise que Taylor y avait gravée : « Think big », (« vois grand »). Au Liberia, l'heure de la grandeur est passée.
TANGUY BERTHEMET (Le Figaro)
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