L’intelligence économique est un processus de collecte, d’analyse, de validation et de communication de l’information utile en vue de son exploitation par les acteurs économiques. Sa finalité est d’améliorer la compétitivité des entreprises et de l’économie et de renforcer les capacités d’influence d’un pays. Aux Etats-Unis, les objectifs visés dans l’utilisation de l’intelligence économique sont le renforcement de la compétitivité des entreprises dans le marché mondial. Les acteurs de l’intelligence économique au sein du gouvernement américain soutiennent les entreprises dans la conduite de leurs affaires, cela d’autant plus que beaucoup d’agences fédérales génèrent de l’information pertinente pour le secteur privé. La guerre économique est engagée avec des munitions de la guerre froide, l’information stratégique.
Ces enjeux justifient l’importance des questions posées par la rencontre sur l’intelligence économique organisée par l’Association africaine de l’intelligence économique en particulier celle sur le rôle des pouvoirs publics. Cette problématique est d’autant plus intéressante qu’elle interpelle en même temps les acteurs économiques impliqués dans le pilotage de la Stratégie de croissance accélérée du Sénégal. Si l’on sait que les taux de croissance du Sénégal de ces trois dernières années ont été successivement de 5,6% en 2004, 5,5% en 2005 et 3,1% en 2006, il devient impératif de formuler et mettre en œuvre une politique nationale d’intelligence économique afin de réaliser la volonté du Président de la République d’atteindre 8% de croissance avant 2012. La première étape pourrait être la constitution d’une commission chargée de préparer, sous l’autorité du Premier ministre, un rapport sur l’intelligence économique et la croissance avec comme termes de référence de dresser un état des lieux de l’intelligence économique au Sénégal et de formuler des recommandations susceptibles de la promouvoir au service de l’accélération de la croissance du Sénégal.
En attendant la concrétisation de cette décision, des mesures susceptibles de développer la culture de l’intelligence économique au Sénégal devraient être prises. Parmi celles-ci figurent la constitution de banques de données sur les grappes de convergences et la mobilisation des informations stratégiques acquises par l’Administration centrale et les renseignements au profit de la compétitivité des entreprises. Ces ressources devraient être complétées par des actions de collecte systématique et de traitement des informations provenant de sources externes. Les émigrés sénégalais et les responsables des missions économiques dans les Ambassades pourraient jouer un rôle important dans le dispositif. En Algérie par exemple, une grande entreprise a noué un partenariat avec un des premiers acteurs mondiaux de l’information juridique, économique et financière, pour l’analyse de contenus sur ses priorités stratégiques. En Grande-Bretagne, le Gouvernement soutient des entreprises à se battre sur les marchés par le biais d’un système de business links dont la finalité concerne l’innovation, la technologie, la conception, l’exportation et la gestion financière. Pour traiter et diffuser les informations collectées, les pouvoirs publics devraient mobiliser à cette fin, l’expertise de la recherche et de l’enseignement supérieur. Cette action devrait être précédée d’une campagne de sensibilisation des cadres du secteur privé, de l’administration centrale et des étudiants par le biais de conférences publiques et de l`utilisation des médias pour la vulgarisation de l’intelligence économique.
La mise en place de programmes de formation d’enseignement supérieur intégralement consacrés à l’intelligence économique et d’autres contenant des modules sur la thématique constituerait une autre importante mesure. Ce travail pourrait être facilité par le renforcement de l’association des professionnels de l’intelligence économique afin qu’elle assure, à l’image du CBIA en Afrique du Sud, des services de conseils, de formation et fournisse des analyses utiles à la prise de décision. L’organisation réussie d’un dispositif national repose sur des compétences avérées en intelligence économique ou militaire, en stratégie de développement, en management et en lobbying travaillant en synergie. Il importe donc de nommer un Délégué interministériel pour l’intelligence économique. Cette mesure pourrait s’inspirer de l’exemple de la France dont le Gouvernement a nommé Alain Juillet, Haut Responsable chargé de l’Intelligence Economique. Il est rattaché au Secrétariat général de la défense nationale dépendant de Matignon. Enfin, le secteur privé, les fondations et l’Etat devraient investir les ressources appropriées pour le financement de l’initiative de l’intelligence économique au Sénégal, avec une composante spéciale pour les petites et moyennes entreprises. La définition d’une politique d’intelligence économique serait sans aucun doute facilitée par l’existence d’un réseau assez performant de téléphonie et le dynamisme du secteur informatique autant dans la formation que dans les services.
Rappelons que l’enjeu est d’accélérer la croissance économique du Sénégal en diversifiant les sources de la croissance pour la sécuriser et la pérenniser. Cette croissance doit se manifester par une augmentation soutenue et durable de la production mesurable par le produit intérieur brut à prix constant. Ce qui implique des modifications structurelles, démographiques, techniques et sectorielles. Pour la création de richesses, le Gouvernement a identifié des secteurs prioritaires. Ils concernent l’agriculture et l`agro-industrie, les produits de la mer et de l`aquaculture, le tourisme, les industries culturelles et l`artisanat d’art, le textile et habillement, les technologies de l’information et les télé-services. Il me semble utile d’ajouter à cette liste les ressources minières et les sources et modes de financement alternatifs.
Une politique nationale de l’intelligence économique est aujourd’hui plus que jamais nécessaire dans un contexte de mondialisation marqué par une plus grande ouverture des marchés et l’exacerbation de la concurrence. Ce contexte oblige nos entreprises à maîtriser les conditions et les règles de la compétition mondiale, les stratégies des acteurs, les technologies et à conquérir des marchés. C’est la meilleure façon d’accompagner les dirigeants d’entreprise sénégalais à anticiper et à porter, pour reprendre la formule du Président de la République, leur « part d’audace et de rêve qui féconde le progrès des sociétés humaines », de protéger le patrimoine national et de promouvoir le développement économique de notre Sénégal.
Docteur Thiendou Niang (Sud Quotidien)
Formateur en intelligence économique
Commentaires