Si cela ne tenait qu'aux Sénégalais et aux Français résidant au Sénégal, la candidate de la gauche au second tour de l'élection présidentielle française de dimanche l'emporterait haut la main face à son adversaire de la droite. Si Ségolène Royal, née à Dakar, est le choix du coeur pour beaucoup, Nicolas Sarkozy est présenté par certains comme celui de la raison. Au détriment de futurs aspirants à l'émigration, mais pour le «bien» de l'économie de ce pays où la France occupe la première place dans les échanges extérieurs.
«Pourquoi pas Sarkozy ?», s'est demandé vendredi l'hebdomadaire privé Nouvel Horizon dans un éditorial, dont l'auteur ne cache pourtant pas sa préférence pour Ségolène Royal, comme la plupart des Sénégalais qui débattent avec passion en sa faveur, voire prient pour elle.
L'élection de Mme Royal représentera «un atout séduction de premier ordre», celle de M. Sarkozy poussera la France à «rentrer dans le rang des nations de second ordre», a estimé Issa Sall, l'éditorialiste. Mais avec l'arrivée au pouvoir de M. Sarkozy, a-t-il expliqué, «on va vers une réélle émancipation. Fini le paternalisme. Fini, la France-Afrique. Fini, le pré-carré. Paris ne sera plus la seconde capitale de nos pays», notamment parce que la France se repliera alors sur elle-même, laissant notamment à l'Afrique francophone la liberté de «regarder ailleurs. L'Inde et la Chine», par exemple.
«Mafiafrique»
La fin de la «Françafrique», c'est aussi ce qu'attend Jérôme, un Français basé à Dakar, de l'élection du nouveau chef de l'Etat français, quel qu'il soit. Il fait partie des 10 179 électeurs inscrits au Sénégal, mais sa candidate n'a pas passé le cap du premier tour. De source diplomatique, les suffrages exprimés ont mis Ségolène Royal en tête (43,1%) devant Nicolas Sarkozy (32,4%) et François Bayrou (16,6%). «L'exercice de la campagne électorale, tout axée sur la communication, a desservi le discours, les questions de fond. Il n'a pas été si intéressant» cette année par rapport à 2002, mais le vainqueur du second tour aura une mission importante à réaliser; «faire un gros changement dans la politique africaine de la France, opérer une rupture totale avec les réseaux 'mafiafrique', établir une coopération saine et sans complaisance, au profit des vraies populations», déclare Jérôme.
Les «vraies populations» ne peuvent qu'être «de tout coeur pour Ségolène» assure de son côté Yayi Bayam Diouf, présidente d'un groupement de femmes de Thiaroye-Sur-Mer (à l'est de Dakar), réputée pour ses actions en matière de lutte contre l'émigration clandestine. Elle a perdu un fils dans une tentative de voyage en haute mer, mais pas question d'épouser le point de vue de Nicolas Sarkozy sur l'immigration. «En tant que femme en détresse, on est de tout coeur avec Ségolène. On a fait des sacrifices, tout le village (Thiaroye-Sur-Mer) est pour qu'elle gagne» a déclaré Mme Diouf, chez qui s'était rendue la candidate de gauche lors de son voyage au Sénégal. Yayi Bayam Diouf prendrait volontiers l'avion pour aller saluer Ségolène Royal, si l'une a les moyens et si l'autre l'emporte, évidemment.
En attendant, on en discute sur les forums en ligne, aux arrêts de bus et dans les bureaux, où certains lancent même des paris, le coeur à gauche. Et sans doute beaucoup d'intérêts politiques et économiques aussi.
«La fin d'une certaine histoire»
Selon la Mission économique de Dakar (rattachée à l'ambassade), la France est le premier partenaire commercial du Sénégal. Elle lui fournit 25% de ses importations, et reçoit 13% de ses exportations, pour un volume d'échanges bilatéraux de 413 milliards de FCFA (630 millions d'euros, statitiques 2004). Elle est aussi, d'après l'ambassade, le premier bailleur du fonds du Sénégal, avec des contributions diverses atteignant en moyenne 110 millions d'euros par an.
L'élection de dimanche marquera le début de la rupture dans la relation entre les deux pays, et plus généralement entre la France et l'Afrique, avait prévenu le quotidien privé Sud Quotidien à la veille du premier tour. «Avec le départ du dernier nabab Jacques Chirac» - le président français sortant -, c'est «la fin d'une certaine histoire», peu importe son successeur. La personne élue aura trop de «dossiers brûlants» à s'occuper pour se préoccuper de l'Afrique.
Mbaye, chauffeur de taxi dakarois, n'en attend rien «de toutes façons». «Moi, je suis Sénégalais, je ne suis pas Français. Et puis, ils sont tous pareils, les hommes politiques. Ils font des promesses qu'ils ne tiennent jamais», ajoute l'homme au visage anguleux, cure-dents au coin des lèvres.
Source : rfi.fr
Commentaires