Pour une fois, l’expression «pavé dans la mare» n’est pas galvaudée. Le livre de Patrick Baptendier, Allez-y on vous couvre ! (1), en librairie depuis hier, est une véritable grenade dégoupillée.
Cet ancien gendarme a basculé dans la barbouzerie. Son métier, détective privé, n’a jamais été aussi rentable, à l’heure du big business triomphant. Rebaptisé pompeusement «intelligence économique», sotte traduction de l’anglais qui signifie, plus prosaïquement, «espionnage», il est au cœur de bien des turpitudes politico-financières. Où de grands cabinets se gargarisent de déontologie tout en sous-traitant le sale boulot (écoutes, filatures…) à des petites mains.
Patrick Baptendier est l’une d’entre elles. Il a travaillé pour les cadors du secteur, l’américain Kroll et le français Geos, qui lui confiaient ce qu’ils n’osent faire eux-mêmes : la pêche aux relevés bancaires ou téléphoniques, aux casiers judiciaires, aux notes blanches des services (RG et DST). «Les recherches s’effectuent à 90 % sur des bases publiquement accessibles, recoupées, analysées puis tenues à jour par des sociétés spécialisées. Il faut souvent franchir la ligne de la légalité pour découvrir les 10 % à plus forte valeur ajoutée.»
Notre ex-pandore ne se prétend pas blanche colombe, il revendique même avoir dépassé la ligne jaune, mais sous couvert du contre-espionnage français. A l’entendre, la DST lui balançait des infos privilégiées contre une remontée de tuyaux sur l’activité de Kroll et Geos. Un parfait agent double, mi-privé, mi-public. Fatalement, il a fini par se faire pincer : quatre mois de détention provisoire, procès à venir pour corruption et violation de fichiers. Sauf qu’il plonge seul, ses commanditaires l’ayant lâché en rase campagne. Il existe pourtant des écoutes téléphoniques démontrant sa proximité professionnelle avec la DST, Kroll ou Geos. Mais l’enquête s’est focalisée sur le soldat perdu. Lequel balance dès lors, dans son bouquin, ce que la justice refuse de prendre en considération. «Pas de bruit, pas de vagues», croyait-elle. C’est raté. Extraits.
Parisot espionne ses salariés
En 2005, Baptendier est chargé d’une mission baptisée Enzo. La présidente du Medef, Laurence Parisot, dirige également une entreprise de placards, Optimum, et soupçonne des vols à l’usine d’Agen. «Une de ses collaboratrices a pris contact avec Kroll, qui me charge d’établir les antécédents de plusieurs salariés, d’effectuer une surveillance non-stop de l’entreprise. Le tout bien sûr dans la plus grande discrétion. Personne au sein de l’entreprise ne doit être informé de notre dispositif. Au terme de leur mission, les deux enquêteurs envoyés sur place avec caméras et appareils photo ne repéreront rien de suspect.» En cas de vol, l’usage est d’instaurer des vigiles ou des caméras après consultation du comité d’entreprise. Parisot a opté pour une méthode plus directe.
Panier de crabes à Vivendi
En 2002, Jean-René Fourtou remplace Jean-Marie Messier à la présidence du groupe. «Arrivé dans la panique, il voulait "faire l’environnement" de certains collaborateurs. A commencer par Alain Marsaud, ancien juge antiterroriste entré chez Vivendi comme directeur de la prospective, ce qui incluait une cellule d’intelligence économique spécifique. Manifestement, Fourtou se méfiait de Marsaud. On nous a demandé de tout savoir sur lui : relations politiques, amicales, résidences secondaires, appartenance éventuelle à la franc-maçonnerie.» Redevenu simple député, Marsaud milite depuis - en vain - pour un contrôle accru des cabinets de détectives.
La taupe du «Monde»
Jean-François Dubos, inamovible secrétaire général de Vivendi sous plusieurs PDG, souhaite pister l’informateur d’une journaliste du Monde. «Elle avait contribué à la chute de Messier en prouvant que Vivendi était à court de trésorerie. Notre enquête a pu établir, filatures et photos à l’appui, qu’un membre du service juridique lui remettait des documents. Il a été facile de le confondre en l’intoxicant avec des informations fausses ou tronquées parues ensuite dans le Monde.»
Recherche poux à Skyrock
En 2005, on demande à Baptendier les «antécédents judiciaires» de Pierre Bellanger, fondateur de la radio qui serait alors à vendre. «Kroll est à la recherche de cadavres dans le placard. Les premières recherches de la DST font apparaître que Bellanger s’est attiré les foudres de la justice pour des infractions secondaires, toutes liées à l’exploitation de ses radios. Mais Kroll me demande de fouiller encore, s’impatiente, exige un casier judiciaire. Celui-ci est vierge. Je le montre [ndr : à un patron de Kroll], mais refuse de le laisser malgré son insistance. Devant mon refus, il se contente d’allumer une nouvelle cigarette et de boire un quarantième café.»
(1) éd. du Panama, 2008, 15 euros.
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