Le candidat de l’union européenne à la tête du Fonds Monétaire International(FMI), le « socialiste » Dominique Strauss Kahn, s’apprête à devenir le futur patron. Au moment où le débat s’enfle sur une nécessaire réforme de cette institution pour prendre en considération les desideratas des économies émergentes, il semble opportun de revenir sur les relations tumultueuses entre l’Afrique et la dite institution. A tort ou à raison, les institutions internationales n’ont jamais eu une bonne presse dans un continent où à vrai dire toutes les interventions du FMI ont précipité dans l’abîme des économies déjà fragiles. Nous présenterons primo, un bref historique de cette institution, secundo les conséquences de ses interventions en Afrique et tertio, le comportement à adopter par les pays africains.
La création du FMI et ses bases théoriques floues
Depuis 1914, l’étalon-or d’avant guerre n’a cessé de susciter bien des envies. Tant dans la période de l’entre-deux-guerres que dans la période d’après-guerre, on a assisté à un effort concerté au niveau international pour rétablir des systèmes de taux de change fixes, qui apparaissaient souhaitables au vu de l’expérience de l’étalon-or[1]. Cependant, si l’époque de l’étalon-or avant 1914 a constitué l’exemple de santé monétaire internationale, la période de l’entre-deux-guerres est apparue comme une période de fortes turbulences. Les balances de paiements et les taux de change ont connu des mouvements chaotiques à la suite de deux grands chocs, la première Guerre mondiale (1919-1923) et la Grande crise (1931-1934). Après la première guerre mondiale, les pays européens faisaient face à une avalanche d’inflation et d’instabilité politique. Leurs monnaies étaient devenues inconvertibles pendant la guerre, vu que leurs taux d’inflation étaient très élevés que celui des Etats-Unis, le nouveau patron au niveau financier. En France, les différents gouvernements se montrèrent incapables de réduire les dépenses publiques ou d’augmenter les impôts pour diminuer les déficits budgétaires, qui durent être financés par des émissions de nouvelle monnaie. L’Italie connaissait une situation similaire. Quant à Allemagne, la masse monétaire, les prix et le coût des devises furent tous multipliés par plus d’un trillion entre 1922 et 1923. Le 19 septembre 1931, la Grande Bretagne abandonna l’étalon-or, laissant varier librement la livre sterling. La gravité de la situation a conduit les chefs de file monétaires des puissances alliées à réfléchir sur un meilleur système. C’est ainsi que la conférence de Bretton Woods, dans le New Hampshire a eu lieu, en juillet 1944, une conférence monétaire et financière des Nations Unies réunissant, les représentants des 44 nations signataires de la charte de l’ONU. Des deux plans en présence, celui de John Maynard Keynes et d’Harry Dexter White, c’est celui du dernier cité qui sera remanié et retenu. Les principales dispositions de l’accord portent sur les points suivants :
- chaque pays devra progressivement assurer la convertibilité de sa monnaie avec le dollar et les autres monnaies ;
- le dollar est rattaché à l’or au taux fixe de 35 dollars l’once d’or. Le lien avec l’or est donc conservé, mais de façon indirecte pour la plupart des monnaies ;
- les taux de change doivent être fixes. La quantité de monnaie échangée contre une unité de monnaie étrangère ne doit pas varier dans le temps de façon significative. Les pays disposent d’une marge de fluctuation de 1%, c’est-à-dire que les banques centrales doivent intervenir pour maintenir la parité de leur monnaie lorsque celle-ci monte ou descend de plus de 1% par rapport au dollar. La dévaluation, constat d’échec dans le maintien de parités stables, ne doit être qu’exceptionnelle. Si le déséquilibre est temporaire (déséquilibre conjoncturel), les pays peuvent demander à bénéficier de crédits particuliers, les moyens de paiement internationaux mis à leur disposition permettant de financer les déficits extérieurs. Les pays peuvent de même utiliser les Droits de Tirages Spéciaux (DTS), crées par le FMI. Ces DTS représentent un droit, calculé au prorata de la quote-part[2], de recevoir des liquidités internationales dont une faible partie seulement devra être remboursée.
Si les deux plans souhaitaient que le monde se dote d’une nouvelle banque centrale, capable d’allouer aux pays déficitaires des réserves pour surmonter leur déséquilibre temporaire, celui de White, proposait en outre que des pressions internationales soient exercées sur les gouvernements nationaux afin qu’ils changent leur politique macroéconomique de façon à servir l’objet d’un équilibre dans les paiements internationaux. Aujourd’hui le FMI compte plus de 150 pays.
Des bases théoriques floues à l’épreuve du temps
Le système de Bretton Woods a vraiment fonctionné à partir du retour à la convertibilité des monnaies européennes en 1958. Mais avec le taux d’inflation de l’économie américaine, la confiance dans le dollar s’en trouve affectée à tel point que les marchés de changes ont connu à la fin des années 60 d’énormes mouvements de fluctuation du dollar. Dans l’impossibilité de stopper ces fluctuations, les Etats Unis durent mettre fin à la convertibilité du dollar en or, le 15 Août 1971. La marge de fluctuation passe de 1% à 2,25%. En 1973, les banques centrales européennes refusent de continuer à soutenir le dollar et renoncent désormais à être rattachées au dollar. Ce fut la fin du système de changes fixes organisé autour de l’étalon-dollar et l’avènement du flottement généralisé des monnaies[3]. L’échec du système de Bretton Woods présageait celui du FMI. Dans un discours prononcé le 13 juillet 1982, Jacques Larosière (ancien directeur du FMI) précisait que le FMI « est une institution monétaire contribuant à l’ajustement économique dans ses pays membres et dans le monde entier »[4]. Ceci revient à dire que lorsqu’un pays connaît un grave déficit de sa balance des paiements[5], mettant en cause sa monnaie, il peut faire appel au FMI afin que ce dernier lui accorde les moyens financiers nécessaires au rétablissement de sa situation extérieure. Cependant au niveau théorique, le FMI s’est éternisé à croire que le déséquilibre des taux de change venait que du compte des transactions courantes. Or les spécialistes des questions de changes s’accordent à reconnaître que les fondamentaux du taux de change n’expliquent pas parfois les fluctuations de ces derniers. Aujourd’hui, il convient de prendre en compte le bas de la balance des paiements (le compte capital et le compte financier) plutôt que le haut(le compte de transactions courantes). Les crises financières (le Mexique au début de 1995, l’Asie en 1997, la Russie en 1998 et le Brésil en 1998) ont fini par convaincre de l’inaptitude du FMI à jouer son rôle de gardien du système monétaire international.
Le FMI et l’Afrique
La crise de la dette a promu le FMI au rôle de tuteur des politiques économiques des pays en développement et de médiateurs entre créanciers et débiteurs. Le mariage entre l’Afrique et le FMI a commencé avec les programmes de rééchelonnement de la dette couplé à des programmes de réduction de l’absorption d’inspiration monétariste dans les années 83. Cette politique a échoué car les rééchelonnements n’ont pas restauré la capacité de remboursement et d’emprunt des pays. Les banques ont refusé de prêter autrement que dans des plans concertés avec la caution du FMI. Même avec les plans Baker et Brandy, le FMI devait être une caution privilégiée des pays en développement et surtout africains. C’est ainsi que les pays développés avec la complicité des institutions internationales comme le FMI se sont accaparés de manière scientifique et organisée du système économique africain. Les grandes entreprises étatiques porteuses d’espoir ont été cédées aux multinationales occidentales parfois à un franc symbolique. En même temps, des rapports officiels de l’OMS, du FMI et de la banque mondiale inquiètent. Sur une population de 940 millions d’habitants, le revenu moyen annuel est de 600 dollars. 350 millions d’habitants en Afrique subsaharienne vivent avec moins d’un dollar par jour. Ces rapports disent que la faim tue deux fois plus que le sida et la tuberculose ; selon l’OMS, dans le « classement global du système de santé » sur une échelle de 1 à 191, tous les pays africains se situent dans le bas du tableau : Tchad 178, Angola 187, Nigeria 187, République démocratique du Congo 188, Sierra Leone 191…Ces pays sont pourtant des pays dont le sous sol est riche. L’Afrique est le continent le plus touché par le travail des enfants : 41% des enfants de 5 à 14 ans, soit 80 millions d’enfants. Pour l’OIT, ce nombre va croître pour s’établir à 100 millions en 2015. En 2004, l’Afrique a connu 46 conflits armés, soit 52% au niveau mondial. L’espérance de vie moyenne est passée 49 ans à 45 ans entre 1980 et 2006[6]. Devant ce drame gigantesque et rocambolesque qui frappe l’Afrique, une question revient sans cesse sur les lèvres : qui est responsable ? C’est vrai que l’incompétence, le manque de stratégie et de vision de certains dirigeants africains sans oublier la corruption de l’élite africaine expliquent en partie la disette de l’Afrique. Mais le véritable goulot d’étranglement demeure la dette galopante injuste qui prive les Etats de ressources financières, les privatisations tous azimuts et le pillage systématiques des ressources naturelles de l’Afrique. Pour que la dette étrangle l’Afrique et retarde son développement, les pays occidentaux ont cherché à contrôler notre système de production afin de piller les ressources de l’Afrique. C’est ainsi que le FMI, par le truchement de ses programmes d’Ajustement Structurel (PAS) a obligé les pays africains à privatiser les grandes entreprises africaines. Selon l’ONU, les trois quarts des prêts et des crédits n’étaient accordés qu’à condition de privatiser…Entre 1990 et 2000, plus de 3000 entreprises sont passées du secteur public au secteur privé, soit une moyenne de six privatisations par an et par pays. Pour la période de 1990 à 1995, le nombre d’entreprises publiques est passé en Afrique subsaharienne de 6069 à 4058, soit une chute de 33%. En Guinée par exemple, seuls 600 emplois sur 4000 ont été préservés. Même en Afrique du Sud, plus d’un million d’emplois ont disparu en dix ans. Depuis 2005, le FMI exige encore la privatisation des entreprises restantes, des banques et des assurances, s’opposant même parfois à l’utilisation des recettes pétrolières versées au Fonds de régulation des recettes (FRR). Le FMI s’oppose aussi à l’augmentation des salaires et à la reconstruction par les investissements publics. En vérité, toute cette gesticulation mediatico-scientifique vise à maintenir encore une fois l’Afrique dans l’indigence, dans la colonisation. Avec l’aide du FMI, à travers ses privatisations, depuis l’extraction de la première goutte de pétrole, les compagnies anglo-américaines, françaises et Malaisiennes ont empoché 653 milliards de dollars laissant aux Tchadiens que 62 millions de dollars. Le Nigeria qui est deuxième producteur de pétrole en Afrique, avec des réserves de 2500 millions de barils enregistre 80% de sa population avec moins d’un dollar par jour. La Côte d’Ivoire illustre bien la confrontation des intérêts entre des multinationales comme Bolloré, Bouygues et la volonté du pays à contrôler son système de production. Pourquoi Areva pille l’Uranium du Niger. Pourquoi, le Guinéen ne mange pas à sa faim alors même que son sous-sol est honteusement exploité.
L’alibi de la bonne gouvernance
Pour contrôler donc le système de production des pays en développement et surtout africains, le FMI utilise ses fameuses conditionnalités. Les publications du FMI la définissent en ces termes : « la conditionnalité se rapporte à l’obligation, imposée par le Fonds aux pays membres qui désirent recourir à ses ressources, d’adopter des politiques d’ajustement économique (…). Le lien entre le financement et l’ajustement est au centre de la conditionnalité ». En clair, « la conditionnalité vise à assurer que les mesures prises par le pays membre conduisent, dans des délais raisonnables, à une balance des paiements viable et à une croissance économique soutenable ». Même la conclusion d’un accord de prêts privés nécessite l’aval du FMI ; en effet « l’existence d’un accord de confirmation avec le Fonds est souvent posée comme condition à la conclusion d’accords de prêts privés avec des pays membres du Fonds (…). Les prêteurs privés s’appuient sur les accords de confirmation, parce qu’ils considèrent la conditionnalité du Fonds comme la garantie que le pays membre a élaboré un programme jugé suffisamment satisfaisant par le Fonds pour justifier l’appui du programme au moyen des ressources du Fonds ». Derrière cette fable économique se cache une volonté manifeste du FMI de contrôler les économies africaines au profit des pays industrialisés et leurs multinationales. Les conditionnalités ne sont ni plus ni moins la prise en main de la politique économique d’un pays par les pseudos experts du FMI, remettant ainsi en cause l’indépendance et la souveraineté de ce pays. De plus en plus, les conditionnalités ont pris la forme de bonne gouvernance. Pour le FMI, « le cœur d’une bonne gouvernance » s’appelle « le libre accès au marché ». Pour Daniel Kaufman, directeur de la gouvernance mondiale à l’institut de la banque mondiale, « les pays qui entreprennent des reformes constatent que la bonne gouvernance est reconnue par les investisseurs étrangers, les bailleurs de fonds, les responsables gouvernementaux et le grand public comme primordiale ». La difficulté des institutions internationales à définir clairement le terme de bonne gouvernance montre bien leur volonté d’user de l’émotion et de jolis mots pour avoir l’adhésion des populations à leur supercherie. Pour s’en convaincre, il suffit de comprendre l’aveu de Michel Camdessus qui déclarait que le FMI a toujours visé à pousser les pays « à entreprendre des réformes clés concernant le commerce, le marché du travail et d’autres réformes des marchés ». La bonne gouvernance, selon nous, est la volonté d’assurer la participation plus large de tous les citoyens et des organisations, bref des forces vives d’un pays à la conception et à l’application des politiques. La bonne gouvernance, c’est refuser que la richesse d’un pays se concentre entre les mains de quelques individus, laissant les masses populaires dans la paupérisation.
Ce que les pays africains doivent faire
Aujourd’hui, de l’aveu même du FMI et de la Banque mondiale, les thérapies prescrites aux pays en développement ont étés un désastre sur le plan économique et social. Les PAS ont renvoyé les pays africains à l’époque de la colonisation, voire même de l’esclavage puisqu’ils se battent pour rembourser indéfiniment des dettes. Si l’africain n’arrive pas à se soigner correctement, c’est parce qu’on a licencié les médecins, les infirmiers et privé les Etats d’investir dans le public. C’est aussi le cas dans le secteur de l’éducation et de la recherche. Sans honte, les institutions internationales annoncent « un plan de lutte contre la pauvreté » dans le cadre des objectifs du Millénaire (réduction de 50% de la pauvreté pour l’Afrique d’ici à 2015). Dans cette optique, pour réduire la dette des pays, le FMI met en place un mécanisme assorti des mêmes conditionnalités que les PAS. Si le FMI ne parle plus de PAS, mais de Documents Stratégiques pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP), le contenu demeure le même. Parfois aussi, on nous rabâche les oreilles que la bonne gouvernance est la solution au décollage de l’Afrique. L’Afrique n’a pas de leçon à recevoir des experts du FMI ou d’une quelconque institution internationale. Le cas Paul Wolfowitz (ancien directeur de la banque mondiale), coupable de népotisme et de favoritisme n’a t-il pas convaincu plus d’un sur la manque de rigueur de ces institutions internationales ? Le moment est venu pour que les pays africains prennent en main leur destinée. Pour éviter les interventions meurtrières des institutions internationales comme le FMI, les pays africains doivent de moins en moins s’endetter, gérer au mieux les ressources financières tirées de l’exploitation des richesses naturelles. Dans le cas de la zone franc CFA, c’est le lieu de réfléchir sur un régime de change capable d’empêcher le déficit des balances de paiements, au regard des chocs subis. Les pays en développement et ceux de l’Afrique en particulier doivent approfondir l’idée du président Chavez au sujet d’une Banque du Sud. D’ailleurs, la nouvelle architecture financière internationale (NAFI), définie en juin 1999 sous l’égide du G7 et mise en œuvre, depuis, par le FMI, en réponse aux crises systémiques des années 1990, n’a pas clos le débat sur la raison d’être du FMI. A la lumière des torts que subissent les pays africains, on se demande ce qu’ils font en étant membre de ce « Fonds de Misère Instantanée » car comme le rappelait Joseph TCHOUDJANG POUEMI « le FMI devient une institution inopérante, presque formelle. Ses décisions sont adoptées par les grands pays avec une totale inattention à l’égard des pays du tiers monde. Les débats du comité intérimaire sont entièrement des matières de protocole, sans signification aucune »[7]. Les pays africains doivent refuser d’exécuter les politiques économiques dévastatrices prescrites par le FMI car cette institution est devenue un instrument de torture et de désordre économique.
Dieu bénisse l’Afrique !
Prao Yao Séraphin[8]
Président du MLAN
Un coup d’État est un changement de pouvoir soudain, imposé par surprise, par une minorité utilisant la force. La technique de base du coup d'État consiste à s'emparer des organes centraux de l'État ou à les neutraliser, en occupant leurs lieux de fonctionnement qui sont aussi les lieux symboliques du pouvoir. Le coup d’Etat monétaire sera donc une manière soudaine d’imposer une monnaie et un régime monétaire à un Etat. Un peuple sans souveraineté est non seulement un peuple privé de liberté, mais un peuple menacé dans son existence [Jean-Marie Le Pen, Extrait du Meeting de Toulouse - 25 Mars 2007]. La souveraineté est le droit exclusif d'exercer l'autorité politique sur une zone géographique ou un groupe de peuples. La souveraineté sert de pilier à l'analyse de l'État et constitue le critère de distinction des différentes formes de gouvernement qu'il décrit. La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République. La souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté dans les limites du principe supérieur du droit et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser[i]. Ainsi, l’on peut se poser la question de savoir si les pays de la zone franc sont des pays souverains puisqu’ils n’ont pas le pouvoir de battre monnaie, un acte politique qui détruit les fondements de cette souveraineté. Au surplus, ces pays ont en commun une monnaie imposée depuis la période coloniale. Le véritable débat, celui d’une réflexion féconde sur le lien entre monnaie et souveraineté, entre monnaie et développement a été occulté au profit d’un piètre combat pour des postes de gouverneur des banques centrales dont les manettes sont entre les mains de la France. Cette présente contribution sur le franc CFA constitue un appel à méditation des gouvernants des pays membres afin de donner un sens à la notion de souveraineté.
UN DETOUR HISTORIQUE IMPORTANT
Selon l’histoire des faits économiques, le franc CFA est né formellement le 9 septembre 1939[ii], lorsque dans le cadre de mesures liées à la déclaration de guerres, un décret instaura une législation commune des changes pour l’ensemble des territoires appartenant à l’empire colonial français. En fait le début de la seconde guerre mondiale va s’accompagner d’un dirigisme monétaire avec la mise en place du contrôle des changes à cette date. La zone Franc, en tant que zone monétaire caractérisée par une liberté des changes, est formellement créée. En réalité, ses principales caractéristiques étaient apparues entre les deux guerres. La gestion monétaire des colonies était assurée par des banques privées bénéficiant dans leurs zones respectives de privilèges d’émission. Nonobstant, la dislocation progressive de l’espace monétaire et commercial international dans les années trente, la montée en puissance généralisée du protectionnisme et l’enchainement des dévaluations compétitives provoquèrent de la part des puissances coloniales une réaction de repli sur leurs empires. Après l’échec de la conférence de Londres en 1933, les zones monétaires furent leur apparition. C’est ainsi que prit naissance la « zone sterling ». Un grand nombre de pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud vont rattacher leur monnaie au dollar pour former la « zone dollar ». La formation d’une zone économique impériale, protégé de la concurrence extérieure et fondée sur la complémentarité des productions coloniales et métropolitaines, passait par la création d’un espace monétaire commun. Avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale, naissait l’instauration d’une réglementation des changes valable pour l’ensemble des résidents de l’empire et la centralisation des réserves en devises au profit de la métropole. Le franc CFA est officiellement né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des colonies françaises d'Afrique ». Mais cette définition de la parité du Franc se fait avec une différenciation selon les secteurs géographiques. Nous avons alors trois unités distinctes avec le Franc des Colonies Françaises du Pacifique (FCFP), un Franc des Colonies Françaises d’Afrique (FCFA) et un Franc de la métropole valable également pour l’Afrique du Nord et les Antilles (FF). Le FCFP valait 2,40 FF et le FCFA 1,70 FF. C’est aussi l’occasion d’affirmer l’unité car le communiqué du ministre des Finances parle de « Constitution de la zone franc » et ce sera la première fois que le terme est utilisé officiellement. Certains pays ont choisi, lors de l'indépendance ou après, de quitter la zone franc coloniale : Algérie (1963), Maroc (1959), Tunisie (1958), Mauritanie(1973), Madagascar(1973), Guinée (1958), l’ex- Indochine (Cambodge, Laos, Viêtnam) en 1954. Le Mali l'a quittée en 1962 pour la réintégrer en 1984.
LES MOTIVATIONS IMPERIALISTES DE LA FRANCE
Il s'agit alors de restaurer l’autorité monétaire française dans ces territoires qui ont été isolés de la métropole durant la seconde guerre mondiale, et ont souffert de la raréfaction des échanges, et ont dû parfois créer des émissions locales appuyées sur d'autres devises que le franc français (par exemple le dollar US), voire accepter des émissions fantaisistes par les troupes armées, ou accepter la monnaie des occupants, comme ce fut le cas pour les protectorats et territoires français en Asie, alors que ces territoires, et les institutions financières locales publiques et privées, doivent gérer leurs dettes extérieures à la fin du conflit mondial. Leurs objectifs sont, bien entendu, concentrés sur l'organisation interne des Empires coloniaux, en particulier sur la facilitation des relations financières et commerciales entre la métropole et les territoires. Il s'agit toujours pour la France de faciliter l'intégration commerciale et financière des territoires à la métropole par le biais d'un régime de monnaie et de change. La perte de la convertibilité, non seulement lésait les investisseurs étrangers et les déposants, mais aussi rendait plus difficiles les échanges de biens et de capitaux avec la métropole. Un des objectifs des administrateurs était d'assurer la convertibilité pour maintenir les liens économiques avec la métropole. De plus, les colons se mobilisent pour réclamer la même sécurité pour leurs avoirs locaux et leurs avoirs métropolitains, ce qui passe par une fixation du change. L’intérêt de la manœuvre est d’assurer une compensation maximale des règlements entre les deux économies et surtout de supprimer le change entre les deux monnaies. L’épisode de la communauté est du reste significatif du formalisme qui présidait à la conception gaullienne de la décolonisation. Le principe fédéral inspirant ce projet faisait une large place au domaine de gestion commune, « qui doit comprendre la défense, la politique étrangère, la direction de l’économie, la politique des matières premières et la monnaie »[iii]. Avec la zone franc, la France voulait conserver son aire d’influence, mais aussi, consolider des liens un temps menacés par les aspirations à la souveraineté. La construction de cette zone est due à des facteurs commerciaux (une partie importante des échanges se faisant avec la France), financiers (faciliter le paiement des flux financiers) et politique. Cette tutelle monétaire assure le contrôle des économies de la zone et garantit les bénéfices des capitaux français en assurant la convertibilité illimitée, la parité fixe avec l’euro et surtout la liberté des transferts.
FONCTIONNEMENT DE LA ZONE OU LES MECANISMES DE LA COOPERATION MONETAIRE
La coopération monétaire entre pays membres de la zone franc repose sur quatre principes : un institut d’émission commun à chaque sous-zone, une parité fixe, une garantie de convertibilité illimitée et la libre transferabilité interne.
v Un institut d'émission commun à chaque sous-zone
Les banques centrales de chaque sous-zone (Banque des États de l'Afrique centrale - BEAC, Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest - BCEAO, et Banque centrale des Comores - BCC) ont la tâche de conduire la politique monétaire de la sous-zone. Elles doivent aussi centraliser la totalité des avoirs extérieurs des États membres.
v Une parité fixe avec le franc français (maintenant l’EURO)
Cette parité est définie pour chaque sous-zone. Elle est restée stable de 1948 à 1994 pour les trois sous-zones (1 FF = 50 FCFA ; 1FF = 50 FC depuis 1979) et a été ajustée le 12 janvier 1994 (100 FCFA = 1 FF, la parité étant identique pour les sous-zones d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale, 75 F comoriens = 1 FF).
v Une garantie de convertibilité illimitée
Le Trésor français va innover en matière de régime de convertibilité. Alors que le Trésor britannique abandonne la gestion de la monnaie aux intérêts privés ou aux autorités locales, le Trésor français s’implique. Il garantit une convertibilité sans change, financée par ses propres ressources fiscales, et régulée par la coopération avec les Instituts d’émission locaux. Ce système est fondé sur le compte dit d’opérations dont disposent les Instituts d’émission dans les comptes du Trésor. Ce compte est un compte courant des Instituts auprès du Trésor où se fait la compensation des paiements entre les territoires et qui présente la particularité de pouvoir être débiteur (Vinay, 1988, Lelart, 1997, Guillaumont-Jeanneney, .1996)[iv]. La libre convertibilité de la monnaie de chaque sous-zone est garantie par le compte d'opération ouvert auprès du Trésor français et sur lequel les banques centrales ont un droit de tirage illimité en cas d'épuisement de leurs réserves en devises. En contrepartie de ce droit de tirage, les banques centrales doivent déposer sur le compte d'opération au moins 65 % de leurs avoirs extérieurs nets (réserves de change).Si les banques centrales peuvent recourir sans limitation aux avances du Trésor français, cette faculté doit, dans l'esprit des accords, revêtir un caractère exceptionnel. En cas de découvert prolongé du compte d'opération, les banques centrales sont tenues de mettre en œuvre des mesures de redressement (relèvement des taux directeurs, réduction des montants de refinancement, plafonnement des crédits aux États, ratissage des devises). Les variations de position sur le compte d'opération traduisent donc les résultats des paiements extérieurs. Les variations de la position extérieure sur le compte d'opération sont nettement inférieures à la fluctuation des avoirs extérieurs de chaque pays. Le flux vers la métropole étant plus important que celui vers la colonie, le Trésor dispose d’une position excédentaire en francs CFA.
v La libre transferabilité interne
À l'intérieur de chaque sous-zone, et entre chaque sous-zone et la France, les transferts de capitaux sont en principe libres. Les transferts des capitaux entre les zones monétaires ont fait l'objet de quelques restrictions au cours des années 90, afin notamment de lutter contre les mouvements de capitaux illicites (suppression du rachat des billets entre zones). Chaque franc CFA n'est utilisable que dans sa propre zone (par exemple, le détenteur de francs CFA « Ouest » ne peut les échanger dans un pays de la zone « Est », le transfert ne peut se faire que par voie bancaire, et donc sous contrôle. En clair, les francs CFA ne sont pas identiques, même s'ils ont le même sigle. Ils sont émis par des banques centrales différentes et leur signification n'est pas la même. Le CFA de la zone Ouest se décline ainsi : franc de la Communauté financière africaine. Celui de la zone centrale : franc de la coopération financière en Afrique centrale.
L’URGENCE DE LA RECONQUETE DE NOTRE SOUVERAINETE MONETAIRE
Alors que l’Asie et le Maghreb, après s’être débarrassés des vestiges du colonialisme, s’en sortent économiquement, les pays de la zone Franc hésitent toujours à rompre le lien colonial, comme s’ils doutaient de leurs propres capacités à prendre en charge leur destinée. Le coup d’Etat monétaire de la France est en passe de devenir une servitude monétaire volontaire. Pourquoi déposer nos réserves de changes dans un Trésor Français alors que nos économies ont des besoins croissant de financement. Si les pays membres ne disposent pas d’économistes ayant une connaissance certaine des mécanismes du marché des changes alors il serait temps de désespérer de l’Afrique. Evidemment que l’Afrique a des économistes rompus à la haute compétition intellectuelle. Pourquoi donc cet esclavage monétaire ? Il n’est plus souverainement juste de perpétuer la dépendance à l’égard de l’ancienne métropole au travers de la Communauté Financière Africaine et de sa " zone Franc CFA ". Cette monnaie étrange, nous est étrangère, elle n’est pas notre monnaie. Souvenons-nous de l’épisode de la dévaluation en 1994. La dévaluation du Franc CFA annoncée par la France en 1994, avant la convocation des Chefs d’État de la zone CFA, pour consultation. Le franc CFA est un instrument de domination de la France. Cette ingérence monétaire se retrouve au niveau de la gestion de nos banques centrales. L'autonomie des Banques centrales est tempérée par les prérogatives du Conseil des Ministres des différentes zones. En particulier, il revient à celui-ci d'arrêter la distribution du crédit. De plus, à l'échelle nationale, la répartition des quotas de crédit établis par la Banque et le Conseil relève de comités nationaux contrôlés par les gouvernements locaux. Elles disposent d’un conseil d’administration où chaque membre et la France ont une représentation égalitaire. Les administrateurs, à raison de deux, sont nommés par les Etats : ce sont de hauts fonctionnaires. Par exemple, La France dispose de deux représentants au Conseil d'Administration de la BCEAO comme n'importe quel pays membre. La France, aujourd’hui comme par le passé, continue d’intimider ceux qui confessent la mort du franc CFA. Déjà en 1963, prétextant d’une mutinerie des soldats, démobilisés de la guerre d’Algérie, un coup d’Etat est organisé contre le président togolais Sylvanus Olympio. Que reprochait-on à ce dernier ? D’avoir demandé en 1958 l’indépendance du Togo, sous mandat franco-onusien. Puis, une fois l’indépendance acquise en 1960, de vouloir réviser le contrat d’exploitation du phosphate togolais; d’avoir entrepris la diversification du partenariat économique avec d’autres États occidentaux, dont l’Allemagne, ex-métropole coloniale qui devait aussi le soutenir dans la création d’une monnaie nationale, en sortant de la Zone Franc. Les pressions financières, monétaires et politiques exercées pour que le Mali soit obligé de revenir dans la zone franc après sa sortie en 1962. A contrario, l’adhésion du régime dictatorial de la Guinée équatoriale à la zone BEAC n’a pu se faire, compte tenu de la situation désastreuse du pays, que grâce au paiement par la France de sa quote part à la BEAC. Dans le cas du mali, la France a dû, pour surmonter les réticences des états membres de l’UMOA, transformer en prêts à long terme avec différé d’amortissement le découvert du compte d’opération de l’institut d’émission malien, qui s’élevait à 850 millions de franc en 1984. Inscrite au budget du ministère de la coopération, cette opération expliquait à elle seule les deux tiers de l’accroissement de l’aide française au PMA en 1984. Au nom de la restauration de notre souveraineté monétaire, le prochain sommet de l’UEMOA doit se pencher sur l’avenir du franc CFA, une monnaie qui devient de plus en plus un goulot d’étranglement pour le développement de nos économies. Les dispositions et les règles régissant le franc CFA ne permettent pas au système bancaire de jouer son rôle de moteur du développement. Enfin pour préserver l’équilibre monétaire, les concours aux Etats ne doivent pas excéder 20% des recettes fiscales de l’exercice antérieur. Comme le fait remarquer Paul Fabra « peu de grands pays s’imposent une discipline aussi strict que celle que comporte le mécanisme de la zone franc. On est plus facilement orthodoxe pour les pauvres »[v]. Les pertes de change successives à la dévaluation de 1969 avaient été d’autant plus durement ressenties que la contribution des soldes positifs des comptes d’opérations à la défense du franc français n’avait jugé bon ni de les consulter ni de les indemniser. Les modifications des parités des francs CFA ne peuvent être décidées qu’à l’unanimité des pays membres de chaque union et après consultation de la France. . La zone franc porte la coopération monétaire au-delà des frontières de la définition théoriques, elle est le lieu où la France orchestre de façon permanente et ce, depuis la période coloniale, un coup d’Etat monétaire. Au risque de donner raison à ceux qui pensent que l’Afrique n’est pas rentrée dans l’Histoire, nous devons abandonner le débat puéril sur le gouvernorat des banques centrales pour créer des monnaies régionales puissantes et crédibles, pour aboutir à terme à la création d’une monnaie continentale.
Fasse Dieu que les pays de la zone franc comprennent que le chaînon manquant de leur développement est leur souveraineté monétaire.
Prao Yao Séraphin[vi]
Président du MLAN
www.mlan.fr
[email protected]
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[i] Cette définition retenue aujourd'hui en droit est celle énoncée par Louis Le Fur à la fin du XIXe siècle.
[ii] La France et le Royaume-Uni ayant déclaré la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939, les gouvernements britannique et français signèrent le 4 décembre 1939 l’accord financier anglo-français : cet accord fixe, pour la durée de la guerre et pour les six mois après la conclusion du traité de paix, le maintien du taux de change officiel à 176,50 francs français pour 1 livre sterling.
[iii] Charles de Gaulle, Discours et messages. Avec le Renouveau, 1958, 1958-1968, Paris, Plon, 1971, p.32, cité par P.Pastaud (1978).
[iv] Romain Veyrune (2002), Monnaie et convertibilité : trois expériences historiques, Document de Travail de la série, Etudes et documents
[v] Cité par Jacques Adda, Marie-Claude Smouts (1989), La France face au Sud : le miroir brisé.
[vi] Monsieur Prao Yao Séraphin est en instance d’une soutenance de Thèse sur les théories monétaires au CREPEM de Grenoble.
Rédigé par : prao yao seraphin | 14 janvier 2008 à 08:27