Interview de Philippe Montigny: Président du Comité de déontologie ETHIC Intelligence International, et président de l'agence ETHIC Intelligence - France
(Easybourse.com) De quelle manière l’image d’une entreprise peut-elle être atteinte ?
C'est possible de deux façons. Tout d'abord, une personne de l'entreprise peut mettre en danger le patrimoine éthique de celle-ci en commettant un acte illégal aux yeux de la loi ou répréhensible au regard de l’opinion publique parce qu'il serait considéré comme illicite.
Par ailleurs, un concurrent peut attaquer l'image de l'entreprise en l'accusant faussement d’un acte illégal ou illicite.
Par exemple une entreprise gagne un marché public de façon tout à fait légale à l'étranger. Un concurrent accuse cette entreprise d'avoir gagné ce marché en ayant versé un pot-de-vin. Cette accusation altérera l'image de l’entreprise. Et cela peut aller assez loin si la fausse accusation est portée devant la commission des marchés. Celle-ci pourrait décider de mener une enquête et de suspendre le marché, ce qui aurait un impact négatif sur l’entrerprise.
En quoi consiste la certification délivrée par Ethic Intelligence ?
La certification ressemble à une sorte de contrôle technique automobile. Nous allons vérifier dans l'entreprise que les éléments nécessaires au contrôle du point de vue éthique sur les questions de l'anti-blanchiment et de l'anti-corruption ont bien été mis en place. Nous vérifions l'existence de dispositifs de prévention. Nous n’attestons pas du fait qu’il n’y pas de corruption ou de blanchiment en tant que tel.
Vous vous intéressez également au domaine de la due diligence. Qu’est ce que cela signifie exactement ?
Les états de la zone OCDE ont signé une convention qui prévoit l'interdiction pour les entreprises issues des états signataires de payer des pots-de-vin sur des marchés étrangers.
Pour les entreprises dont le siège se situe en dehors de la zone OCDE, de telles pratiques sont encore possibles. Dès lors, il est prévu dans cette convention que les entreprises de la zone OCDE opèrent un contrôle étroit et préalable (due diligence) de leurs intermédiaires hors de l’OCDE afin que ceux-ci ne paient pas de pots-de-vin à leur place.
Quelles sont les modalités d'obtention de vos certificats ?
Les certificats sont codifiés dans le cadre de cahiers de référence dont le détail est donné sur notre site Internet. Trois lignes de quatre certificats existent : anticorruption, antiblanchiment et due diligence.
Pour obtenir un certificat, il faut tout d'abord qu'un cabinet de conseil, qui soit agréé par nous, vérifie que l'existence des dispositifs de prévention corresponde aux termes de ces cahiers de référence. Ensuite, le dossier est présenté au comité de déontologie d'ETHIC Intelligence International qui décide de la délivrance du certificat.
Le certificat a alors une durée de validité de deux ans. Les entreprises doivent le faire figurer sur leur site Internet et un lien renvoie vers notre site qui donne le détail de ce qui a été certifié.
Il n’existe donc pas qu’une seule certification ?
Non, en effet. Nous avons plusieurs certificats qui permettent d’attester de différents aspects du dispositif de prévention de la corruption ou du blanchiment.
Par exemple vous avez un certificat qui atteste de la vigilance de l'entreprise face au risque de blanchiment, un autre qui atteste du fait que l'entreprise s'est pourvue d’un dispositif anti-blanchiment particulier, etc..
Plus précisément, une certification peut concerner une entreprise dans sa totalité, certaines filiales uniquement, ou encore des projets et programmes spécifiques.
Qu'en est-il de l'agrément des cabinets d’audit ?
Tout cabinet de conseil ou d’audit peut être agréé, nous demandons juste de vérifier les compétences requises pour l’audit de certification. Celui-ci peut être un cabinet traditionnel du type KPMG, Pricewaterhouse,… ou un cabinet plus spécifique sur le blanchiment, la corruption ou la due diligence.
Qu’en est-il du coût de ces certificats ?
Il faut distinguer le coût de l'audit de certification effectué par un cabinet extérieur qui peut varier de 10 /15 000 euros à 100/150 000 euros et le coût de l’attribution et de l’enregistrement du certificat qui peut aller de 1500 à 5 000 € par année de certification, suivant la taille de l’entreprise ou du contrat certifié.
Vos procédés de certification ont été homologués par le Basel Institute on Governance. Qu'est-ce que cela signifie ?
Nos certificats ont effectivement fait l’objet d’homologation de la part de Mark Pieth, professeur de droit pénal privé qui a présidé les négociations de la Convention OCDE de 1997 et qui se trouve actuellement à la tête du Basel Institute on Governance, le groupe chargé de vérifier la mise en oeuvre de la Convention dans les différents pays signataires.
Mark Pieth a donc validé en amont la démarche que nous proposons. Par ailleurs, à la fin de chaque année, il examine les dossiers de certification effectués pour valider la qualité de ce qui a été fait. Cet examen permet au comité de déontologie de s'assurer que nos trois agences basées à Paris, à Bruxelles, et à Amsterdam, délivrent les certificats selon les critères de qualité standard. Le contrôle est effectué de façon aléatoire sur 10% des entreprises certifiées.
De quelle manière la certification offerte par votre agence permet-elle de protéger l'entreprise ?
La protection est assurée de deux manières. Tout d'abord s'il y a une véritable accusation de corruption ou de blanchiment, la certification permet de mettre en évidence le fait que le management de l'entreprise avait néanmoins fait tout ce qu'il fallait pour prévenir ce délit. L’acte de malveillance a donc été commis par un employé de l'entreprise à l'encontre des règles édictées par cette dernière.
Par ailleurs, lorsqu'une entreprise concurrente porte une allégation à l’encontre d'une autre entreprise, la certification délivrée permet d'inverser la charge de la preuve. C'est donc à l'entreprise accusatrice d'apporter l’attestation de ses dires.
Est-ce que le poids véritable de la certification s'est révélé dans la pratique ?
Oui, et pour illustrer mes propos je prendrai le cas d'un contexte générique. Une entreprise française opère sur le marché d'un pays en développement sensible dont l'accès a été interdit par le Parlement américain pour les entreprises américaines.
Les entreprises anglo-saxonnes seront tentées de crier au loup lorsqu'un gros contrat d'ingénierie, ou d'exploitation aura été obtenu. Pour parer à cette forte éventualité, la certification aura toute son utilité.
Où se situe l'intelligence économique dans tout ça? De quelle manière l'intelligence économique a-t-elle vocation à protéger le patrimoine éthique de l'entreprise?
L'intelligence économique est une façon de considérer que l'entreprise ne se réduit pas à ses simples actifs matériels. Le patrimoine immatériel, brevets, savoir-faire, marques, et la dimension morale sont tout aussi importants à prendre en considération.
L'intelligence économique consistera à défendre la spécificité de l'entreprise qui ne se réduit pas à ses actifs économiques. Dès lors, lorsque vous protégez le patrimoine éthique, vous protégez également la valeur de l'entreprise.
Pensez-vous que les entreprises françaises estiment justement l'importance d'une politique explicite de prévention de la corruption ?
La réponse est nuancée en fonction de la taille de l'entreprise et de son exposition à l'international. Je pense qu'il faut distinguer trois groupes d'entreprises. Tout d'abord les grosses entreprises du CAC 40 qui sont exposées au risque de corruption internationale et qui sont très conscientes de l'importance des dispositifs de prévention anticorruption, anti-blanchiment et due diligence. Par ailleurs, il y a quelques entreprises du CAC 40 qui sont encore peu exposées à l'international, qui commencent doucement à avoir conscience du problème, mais qui n'ont pas fait grand-chose. Enfin, la majeure partie des PME, PMI qui travaillent également à international n'ont pas du tout conscience de l'enjeu.
Comment l’expliquez-vous ?
Je l'explique par le fait qu'elles ne font pas la une des journaux à l'instar d'autres grandes sociétés du CAC 40 qui au moindre impair sur ce sujet sont immédiatement médiatisées et font l'objet de suspicion.
Les PME et PMI pensent que personne ne les remarquera tant qu'elles ne sont pas sous l'oeil des projecteurs.
Quelles sont les conséquences de cette faiblesse de prise de conscience ?
Récemment, une entreprise moyenne présente sur un marché étranger dans un secteur peu risqué depuis plus 20 ans en a été évincé ce marché parce qu’elle a fait l’objet d’une campagne de déstabilisation de la part de son adversaire. Elle n’a pas su anticiper le problème, a été très maladroite dans ses réponses, et en essayant de se défendre, s’est enfoncée davantage.
Pensez-vous que la situation a vocation à changer ?
Je le pense en effet. Pour deux raisons au moins. Je suis convaincu que dans les mois et années qui viennent, de plus en plus de petites entreprises seront jugées sur ces questions. Dès lors, le risque sera davantage appréhendé et maîtrisé.
A ce propos, la Convention OCDE effective depuis le 30 septembre 2000 a conduit les juges à s'intéresser à une vingtaine d’entreprises françaises, dont le tiers représente des PME.
Par ailleurs, un autre élément va en faveur d’une évolution dans le bon sens. Les grandes entreprises utilisent souvent les petites entreprises comme sous-traitants ou partenaires. De plus en plus, ces grandes sociétés demandent aux petites entreprises de s'équiper de dispositifs de prévention pour éviter que leur propre image ne soit entachée. Un effet d'entraînement est alors produit.
Cette prise de conscience est-elle la même en comparaison avec l'international ?
Oui, elle est identique.
Vous êtes l'auteur d'un livre intitulé L'entreprise face à la corruption internationale. Pouvez-vous nous en dire plus?
La stratégie de base que je propose réside dans l'information, la formation, l'équipement et le contrôle.
Avant la Convention OCDE, le pot-de-vin à l'étranger pouvait être déductible des impôts. Aujourd'hui ce même pot-de-vin peut conduire le dirigeant d'entreprise à 10 ans d'emprisonnement et à 150 000 euros d’amende. Il y a un changement total du paysage. Il faut le préciser.
La corruption est elle appréhendée de la même manière, avec la même rigueur dans tous les pays ?
En théorie, oui. Au moment de l’élaboration de la Convention, l’OCDE a utilisé le principe d'équivalence fonctionnelle. L'idée était que la corruption à l'intérieur d'un pays était sanctionnée de la même manière dans l'ensemble des pays signataires de la convention. Partant de cette équivalence, il a été considéré que le délit de corruption internationale était sanctionné de la même manière que la corruption révélée au sein d'un même pays.
Pour autant, l'application est très différente. Celle-ci est très rigoureuse aux Etats-Unis, et extrêmement rigoureuse en France, pays qui a d'ailleurs été félicitée par l'OCDE pour sa sévérité.
Mais les affaires récentes en Angleterre et en Allemagne, ou des examens de l’OCDE au Japon ou au Pays-Bas, montrent des différences notables dans la mise en oeuvre de la convention. Dans ces deux derniers pays, aucun cas n’a été poursuivi au titre de la violation de la convention anti corruption.
Qu’en est-il des modalités de poursuite ?
La vérité est que les modalités de poursuite sont relativement différentes. Ainsi, en Amérique, une entreprise américaine reconnue coupable de corruption peut plaider coupable au tribunal. Ainsi, le dirigeant de l'entreprise peut échapper à la peine de prison et être seulement condamné à une amende civile ou pénale. En France, si l'entreprise est poursuivie en justice, dans la mesure où le délit est sanctionné de plus de cinq ans de prison, le chef d'entreprise ne peut pas plaider coupable et donc il ne peut pas échapper au risque de la peine d’emprisonnement effective.
Ethic Intelligence est-elle la seule société à offrir de telles prestations ?
Ethic Intelligence est la seule société à être positionnée sur les trois marchés à la fois : anti-corruption, anti-blanchiment et due diligence. Une entreprise américaine propose des certifications dans le domaine de la due diligence. Il s’agit de TRACE.
Combien d’entreprises ont été certifiées à ce jour ?
Depuis que nous avons commencé en octobre 2006, nous comptabilisons trois dossiers de certification complets et cinq sont en cours. Ce sont pour la plupart des entreprises appartenant au CAC 40.
La demande est forte et vise à s'amplifier, comme ce fut le cas pour le développement durable. Lorsqu’on a commencé à parler de cette thématique, il y a quelques années, les entreprises ont souhaité réagir et en ont parlé dans leur rapport d’activité. Progressivement, face aux critiques des O.N.G. et de la presse qui pointaient du doigt l'absence de preuve à l’appui des différentes déclarations, les entreprises ont souhaité faire correspondre les propos à la réalité. Des cabinets se sont multipliés pour auditer les actions de développement durable.
Votre certification constitue un élément précieux pour permettre à l’entreprise de rentrer dans le FTSE4GOOD. Pouvez vous nous dire ce dont il s’agit ?
Cet index est produit par une agence de notation financière créée communément par le Financial Times et London Stock Exchange.
Il a été élaboré pour les entreprises qui s'étaient engagées concrètement dans le domaine du développement durable et de la responsabilité sociale des entreprises. L'index concerne environ 900 entreprises qui sont réexaminées tous les trimestres. Ces entreprises sont éligibles aux fonds d'investissement socialement responsable.
En 2007, en plus des deux critères développement durable et responsabilité sociale des entreprises, a été introduit un troisième critère qui est la prévention de la corruption.
Les entreprises qui sont dans cet index doivent dire explicitement ce qu'elles font dans ce domaine afin notamment de rassurer l'actionnaire sur leur chiffre d'affaires. Notre certification anti-corruption s'inscrit dans cette démarche.
Quel lien faites vous entre prévention de la corruption et cours de bourse ?
En 2005, l’entreprise de télécommunications américaine Titan Corporation, un des fournisseurs du ministère américain de la défense qui devait être racheté par Loockhed s’est vue condamnée à une amende de 28,5 millions de dollars pour avoir versé un pot de vin de 2 millions de dollars payés pendant la campagne présidentielle au Bénin.
Le cours de bourse de la société s'est effondré de 46 %. 800 millions de dollars se sont évanouis en quelques séances.
Cela montre à quel point le problème de la corruption peut avoir un impact sur le cours de bourse.
Avez-vous des exemples d'entreprises qui ont souhaité bénéficier de votre certification pour éviter la chute de leurs cours de bourse ?
Récemment, une entreprise est venue nous voir pour faire certifier un contrat à l'international afin d'avoir de quoi réagir lorsque serait connu ce contrat dans quelques mois. Cette entreprise est convaincue que les concurrents vont vouloir l’attaquer sur ce sujet en disant qu'un pot-de-vin a été versé. Pour éviter un impact sur le cours de bourse, elle nous a sollicité.
Qu’en est-il de l’articulation prévention de la corruption / compétitivité des entreprises ?
Éthique, transparence, honnêteté, intégrité, compétitivité : voici ce que signifient les initiales de notre nom : ETHIC Intelligence. Il tend à souligner le fait que l’intégrité est bel et bien un facteur de compétitivité pour l'entreprise. Ainsi, si la banque mondiale doit choisir entre deux entreprises qui ont fait une offre sur un très gros contrat dans un pays en développement avec la même qualité et le même prix, la banque aura tendance à choisir l'entreprise qui paraît la plus intègre.
Propos recueillis par Imen Hazgui (http://www.easybourse.com)
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