La mise en concession du terminal à conteneurs a mis au-devant de la scène la Sdv, filiale du Groupe Bolloré. Rompant le silence dont il a toujours fait montre, le directeur régional du Groupe Bolloré n'est pas dans la logique d'un conflit avec l'Etat sénégalais comme certains le laissent croire. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, M. Francis Jean revient, tout en la relativisant, sur l'audience que le président Wade a accordé au Groupe Cma-Cgm pourtant partenaire de la filiale de Bolloré. La Sdv reste dans la même logique d'un partenaire de toujours du Sénégal ; elle est à la recherche d'une solution de compromis.
Wal Fadjri : Vous avez été en partenariat avec Cma-Cgm dans le cadre de l'appel d'offres pour la mise en concession du terminal à conteneurs. N'avez-vous pas été surpris par l'audience isolée accordée par le président Wade, avant-hier (lundi 23 juillet), à un allié comme Cma-Cgm ?
Francis Jean : D'abord et avant tout, Cma-Cgm est un client du Groupe Bolloré. Nous entretenons avec ce dernier des relations commerciales. Mais nous n'intervenons absolument pas sur les démarches ni sur la politique de ce groupe. Donc, la visite de Cma-Cgm auprès des autorités du Sénégal n'engage que ces derniers.
Wal Fadjri : Et pourtant, vous aviez déposé une demande d'audience dans ce sens, peut-être avant Cma-Cgm…
Francis Jean : Effectivement, nous avons déposé une demande d'audience auprès de son Excellence, Me Abdoulaye Wade, depuis le 6 juillet dernier. Audience qui avait pour but de sensibiliser Me Wade sur certains points concernant la problématique du Groupe Bolloré au Sénégal et de de ses filiales. La problématique qui, au demeurant, reste entière, s'agissant uniquement d'un problème économique avec des conséquences sociales bien à elle. Ceci compte tenu de l'implantation du Groupe au Sénégal, compte tenu de son historique au Sénégal, et compte tenu aussi de son organisation.
Wal Fadjri : Compte tenu de tout cela, peut-on dire que Vincent Bolloré, le grand patron du groupe, s'intéresse toujours au Sénégal ?
Francis Jean : Vincent Bolloré s'intéresse toujours et plus que jamais au Sénégal. La preuve la plus formelle est effectivement le dynamisme de son offre financière. Un dynamisme sans pareil, quelle que soit l'activité. Vincent Bolloré a toujours manifesté son intérêt. Raison pour laquelle nous revendiquons et sollicitons aujourd'hui, auprès du président de la République, une recherche de solution. Solution qui peut être de diverses formes, mais qui conduira surtout à préserver notre capacité d'opérer et de cette dernière, pouvoir continuer nos activités sur le port de Dakar, avec comme souci premier, de nous inscrire dans le cadre de la compétitivité du port de Dakar et dans un cadre d'augmentation des volumes sur le port de Dakar. Et cela, nous en avons la possibilité. Notre force première, c'est encore une fois l'historique du Groupe. Je rappelle que l'historique du groupe repose sur un réseau qui s'appuie sur plus de 500 agences sur les cinq continents. Nous avons certes en portefeuille comme client Cma-Cgm, mais ce dernier est un client parmi d'autres. Nous avons aussi en portefeuille d'autres armateurs de renommée mondiale. Pour ne pas citer Mol, China shipping, Colsa, Lds, etc. Nous avons aujourd'hui une vraie capacité à drainer sur le port de Dakar de nouveaux flux qui permettraient encore une fois dans un cadre plus général, et dans l'intérêt du port de Dakar, de l'Etat du Sénégal, d'avoir un opérateur captif qui permettrait d'augmenter les volumes sur le Sénégal.
Wal Fadjri : Que répondez-vous à vos détracteurs qui disent qu'après 80 ans de présence, vous n'avez jamais voulu investir au Sénégal ?
Francis Jean : Dire que nous n'avons jamais voulu investir sur le port de Dakar, c'est faux. Je dirais que quelque part, notre plus grosse faiblesse, c'est d'abord et avant tout notre discrétion. Il faut savoir que, depuis des décennies, nous investissons plus de 5 milliards de francs par an sur le port de Dakar. Il faut savoir aussi qu'à l'époque, lorsqu'un nouvel armateur, qui opérait avec des alliés bien particuliers et qui n'était pas capable d'effectuer ses déchargements tout seul, a voulu toucher le port de Dakar, nous avons fait le nécessaire pour pouvoir opérer ces navires de par les quais. Et nous avons investi. Nous avons investi dans les premiers flux portuaires. Ce que personne ne voulait faire et des choses auxquelles personne ne croyait. Et cet armateur, aujourd'hui, fait partie des plus gros armateurs touchant le port de Dakar. Donc, dès que le cadre nous a été permis, nous avons investi. Le problème, c'est que jamais, un tel cadre n'a été offert aux opérateurs et aux investisseurs. Jamais, cela ne s'est présenté ! Nous sommes juste présents dans certaines zones sur le port de Dakar que nous louons et que nous utilisions pour effectuer des opérations. Mais nous ne pouvons pas investir sans avoir au préalable l'accord des autorités du gouvernement. Dire que nous sommes là depuis 80 ans et que nous n'avons jamais investi, non ! Nous investissons, encore une fois, plus de 5 milliards tous les ans. Mais jamais, le cadre ne nous a été proposé et n'a été favorable pour que nous puissions investir avec autant d'engouement que nous l'avons fait dans le cadre de cet appel d'offres.
Wal Fadjri : Faites-vous un appel du pied au président Wade pour préserver les activités du Groupe, mais aussi pour sauvegarder ses intérêts au Sénégal ?
Francis Jean : Comme je l'ai dit tantôt, ce problème est un problème économique avec des répercussions sociales. Ces répercussions sont encore une fois liées à notre implantation et à notre organisation. Nous avons un effectif de plus de 1 600 personnes permanentes au sein de l'intégralité de nos filiales. C'est un effectif qui n'existe pas ailleurs, quelle que soit la société. Nous opérons au port de Dakar parmi 45 manutentionnaires qui n'ont pas un effectif comparable à celui que nous avons mis en place aujourd'hui à Dakar. Pour dire que nous souhaitons conserver et préserver cet équilibre, mais nous ne pouvons le faire que si d'aventure, nous avons cette possibilité de continuer à opérer. Aujourd'hui, ce qui se passe est que nous sommes privés de notre droit d'exercer. Donc, il faut que nous puissions continuer à exercer pour que nous puissions continuer à préserver cet équilibre, que nous puissions nous inscrire dans le cadre de l'amélioration de la compétitivité du port de Dakar, de l'augmentation des volumes et nous inscrire en droite ligne de la vision du chef de l'Etat dans le cadre de la Stratégie de croissance accélérée.
Wal Fadjri : Comment avez-vous été privé de votre droit d'exercer ?
Francis Jean : N'ayant plus de surface à disposition, si d'aventure l'adjudication provisoire (à Dubaï ports World) se transforme en adjudication définitive, sur quoi pourrons-nous exercer nos activités de manutention. Et dans le même temps, il faut savoir qu'il y a 45 autres manutentionnaires qui continuent leurs activités, y compris l'activité conteneurs en zone sud (du port).
Wal Fadjri : On n'entend que le Groupe Bolloré qui rue dans les brancards. Pourtant, il y avait d'autres opérateurs (Maersk Line et Getma-Msc). Est-ce à dire que ce sont seulement vos intérêts qui sont aujourd'hui menacés ?
Francis Jean : Encore une fois, pour certains concurrents, les impacts ne sont qu'économiques. L'impact sur le Groupe est économique, mais aussi il y a un impact social très conséquent. Les incidences ne sont donc pas les mêmes. Et les équilibres dont je parlais tantôt sont ces équilibres-là. Parallèlement à ça, je viens d'évoquer à l'instant que le fait d'être privé du droit d'exercer, il y a un problème d'équilibre par rapport à ceux qui continuent d'exercer en zone sud sur l'activité manutention conteneurs. Nous priver de ce poumon et de cette capacité d'exercer constitue un déséquilibre au-delà de la filiale Sdv, mais a des répercussions sur l'intégralité des filiales du Groupe sur le Sénégal. Il aura même des répercussions au niveau de l'équilibre de la communauté portuaire.
Wal Fadjri : Dans le cadre de l'appel d'offres international, vous avez accepté quand même d'être en face d'un mastodonte comme Dubaï ports World.
Francis Jean : Ce n'est pas un combat. Nous ne refusons pas la concurrence. Encore une fois, la seule chose que nous revendiquons, est de pouvoir continuer à opérer. A ce titre, nous expliquons que nous avons de réels arguments. Les arguments, c'est avant tout notre organisation. Une organisation qui permet d'être confiants en l'avenir et en notre capacité à drainer de nouveaux armateurs et de nouveaux volumes sur le port de Dakar. Il s'agit là de l'intérêt majeur du port que de laisser rentrer de nouveaux armateurs pour que de nouveaux volumes soient générés sur le port de Dakar. Nous en avons la capacité puisque nous avons ces armateurs-là en portefeuille sur d'autres destinations. Nous sommes capables aujourd'hui d'user de certaines capacités commerciales pour les orienter vers le port de Dakar.
Wal Fadjri : Pensez-vous réellement que les préoccupations et les enjeux du Groupe vont être pris en compte par les autorités compétentes ?
Francis Jean : J'en suis convaincu (il le répète). C'est la raison pour laquelle nous avons introduit cette demande d'audience auprès du président de la République, Père de la nation qui, en aucun cas, ne peut être insensible à un problème social. Je rappelle que c'est un problème économique avec des répercussions sociales. La cause est juste, (il cherche ses mots). Je pense que la recherche de solution est un souci commun. Je reste convaincu qu'il y aura solution dans tous les cas. Je reste convaincu et confiant sur le fait que nous puissions aboutir à cela.
Wal Fadjri : Au cas contraire, ne risque-t-on pas d'assister à l'écroulement de tout un système ?
Francis Jean : Aujourd'hui, je n'envisage pas le contraire. Je reste convaincu que nous allons vers la solution.
Wal Fadjri : Pourquoi êtes-vous assez optimiste à ce point ?
Francis Jean : Parce qu'il est de l'intérêt commun que nous puissions trouver une solution. Ceci au travers de notre organisation et de ce que nous représentons au Sénégal. Je rappelle quand même que le Groupe Bolloré représente au Sénégal 13 milliards de masse salariale par an. C'est aussi plus de 60 milliards de droits collectés et reversés à l'Etat par an. Je rappelle qu'au-delà de ces données économiques, le Groupe assure plus de 10 000 consultations (médicales) par an aux personnels et familles de ses filiales sénégalaises. Sur le simple exercice 2006, nous avons construit plus de 100 logements pour le personnel, viabilisé plus de 136 parcelles pour le personnel temporaire. Ce sont donc des acquis qu'on ne peut occulter. C'est la réalité. Et je suis persuadé que le président de la République est sensible à tout ça, et qu'il est en train d'analyser les dossiers avec la plus grande attention possible. Cela nous permettra d'aboutir à une solution dans l'intérêt de l'intégralité des parties concernées.
Wal Fadjri : L'autorité portuaire n'a-t-elle pas rassuré les travailleurs sur le fait qu'aucun emploi n'est menacé avec l'arrivée de Dubaï ports World ?
Francis Jean : Je ne pense pas aujourd'hui que l'autorité portuaire ait la capacité de connaître l'organisation profonde des filiales du Groupe Bolloré au Sénégal. Si l'autorité portuaire a rassuré des éléments, il s'agit certainement d'éléments dépendants d'elle. Mais je ne pense pas que l'autorité portuaire ait pu rassurer les éléments du Groupe Bolloré.
Wal Fadjri : Qu'est-ce qui reste aujourd'hui du partenariat commercial avec Cma-Cgm dont les responsables ont été reçus avant-hier (lundi 23 juillet dernier) par le président Wade ?
Francis Jean : Dans le cadre des activités maritimes, il faut rappeler que Cma-Cgm n'était pas présent en Afrique. Il y est depuis un passé très récent qui remonte à la cession des activités maritimes, sous le couvert de Delmas, à Cma-Cgm par le Groupe Bolloré. Pourquoi le Goupe Bolloré a, à l'époque, cédé ses activités à Cma-Cgm ? Il s'agit de se consacrer à corps business qui est l'activité manutention et logistique. Ce qui permet d'investir sur ces métiers-là. Ces métiers sont des métiers captifs pour de nouveaux armateurs. Encore une fois, Cma-Cgm est un client. Et nous en avons beaucoup. Mais lorsque les clients sont en face, ils sont en concurrence. Notre faculté est de capter de nouveaux armateurs. C'est ce qui fait en sorte qu'il y a de plus en plus de taxes, de volumes, etc., sur le port de Dakar. La capacité d'opérateur du Groupe Bolloré a été renforcée par cette cession de Delmas. Si d'aventure, Bolloré est toujours intéressé par sa présence au Sénégal, il l'est plus que jamais. Si à l'époque, il a cédé ses activités maritimes pour se consacrer à la terre (manutention et logistique), c'était pour renforcer son implantation au Sénégal.
Wal Fadjri : Bolloré détient-il toujours 49 % des actifs de Delmas, contre 51 % à Cma-Cgm ?
Francis Jean : Lorsque Bolloré a cédé ses activités maritimes à Cma-Cgm, il a été monté sur certains territoires comme le Sénégal des joint-ventures entre Cma-Cgm et Bolloré, dans lesquelles Bolloré détient toujours les 49 % des actifs. Maintenant cette joint-venture est moins que la représentation de l'existant dans un schéma capitalistique un peu différent.
Wal Fadjri : Existe-t-il des risques de dislocation de cette joint-venture ?
Francis Jean : Aucunement. Ces joint-ventures sont là et sont implantées. Il s'agit de joint-ventures liées à l'activité consignation (la prise en charge des navires) où nous avons 49 % de l'activité.
Wal Fadjri : Comment avez-vous pu répondre à cet appel d'offres international pour la mise en concession du terminal à conteneurs, tout en sachant que certains critères, techniques surtout, étaient hors de portée de votre groupement (Cma-Cgm/Bolloré/Terminal Link) ?
Francis Jean : Les critères n'étaient pas hors de notre portée puisque nous avons rempli et satisfait l'intégralité. Par contre, nous nous étions interrogés. Et à l'époque, des syndicats de manutention avaient posé la nécessité d'avoir des projets liés aussi bien à l'aménagement des périmètres existants que du port du futur. Des projets qui font appel à des schémas et des stratégies commerciales totalement différents, ainsi qu'à des équilibres économiques aussi différents.
Wal Fadjri : Qu'attendez-vous de la visite du président Sarkozy (les 26 et 27 juillet), un ami du président Bolloré ?
Francis Jean : Cette visite s'inscrit d'abord et avant tout dans un cadre beaucoup plus transversal et dans le cadre des relations historiques que les deux Etats entretiennent. Et surtout dans le cadre du renforcement de ces relations. Je pense que le choix de l'Etat du Sénégal comme premier pays de l'Afrique subsaharienne est déterminant quant à l'intérêt que la France peut porter à l'Etat du Sénégal.
Wal Fadjri : Partagez-vous le même avis que Michel Derrac, chef de la Mission économique de l'ambassade de France, qui soulignait récemment devant nos confrères de Rfi qu'il faut un compromis dans le cadre du port ?
Francis Jean : Nous l'avons déjà dit tantôt. En aucun cas, comme certains se plaisent à le dire au quotidien, nous ne sommes en conflit avec l'Etat du Sénégal. Cela n'a jamais été le cas et ne le sera jamais. Nous avons été le partenaire de toujours et comptons le rester d'abord et avant tout. Nous avons dit au chef de l'Etat que nous avions un problème économique. Et que de ce problème économique, il y avait de vraies répercussions sociales. Et qu'il fallait ensemble que nous puissions trouver une solution qui soit un bon compromis. Donc la position de M. Derrac renvoie tout à fait à la nôtre dans le cadre de la recherche de solutions. (A
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Rédigé par : Té la mà Maria | 27 juillet 2007 à 14:18