DAKAR (Reuters) - Les élections législatives de ce dimanche au Sénégal, boycottées par l'opposition, consolideront le camp présidentiel du "Sopi" (Changement, en wolof) au risque de ternir la solide réputation de "vitrine démocratique" de l'ancienne colonie française d'Afrique de l'Ouest.
"Gorgui mo bari doolé" (Le Vieux est très fort !) est le cri de ralliement des partisans du président Abdoulaye Wade, 81 ans, facilement réélu il y a trois mois à l'occasion d'un scrutin dénoncé comme truqué par l'opposition.
En avril, une dizaine de formations de l'opposition emmenées par le Parti socialiste (PS) de Léopold Sédar Senghor, père de l'indépendance, ont annoncé leur décision de ne pas participer aux législatives.
Elles accusent le Parti démocratique sénégalais (PDS) de Wade d'avoir "acheté" des voix et "tripatouillé" les listes électorales à son profit lors de la présidentielle de février.
Bien que ses détracteurs n'aient pas réussi à avancer la preuve de fraude généralisée, ils affirment que le chef de l'Etat a puisé dans les deniers publics et utilisé la machinerie du PDS pour obtenir 56% des suffrages exprimés.
Ce qui a contribué à donner de Wade, qui a refusé carrément de parler des questions électorales avec ses adversaires, l'image d'un président africain "à l'ancienne", plutôt que celle d'un chef d'Etat moderne et consensuel qu'il souhaite incarner.
"Cela ressemble à une lutte entre un poids lourd et un poids léger", explique, filant la métaphore pugilistique, Alioune Tine, de l'ONG dakaroise de défense des droits de l'Homme Raddho.
Les partis de la mouvance "Sopi", qui seront opposés dimanche à 13 formations insignifiantes, contrôlent déjà 89 des 120 sièges de l'Assemblée nationale. Ils devraient renforcer leur mainmise sur la nouvelle assemblée, qui comportera 150 sièges.
SUICIDE POLITIQUE?
Nombreux sont ceux qui jugent politiquement suicidaire le boycottage de l'opposition, qui laissera les mains encore plus libres au président, déjà accusé de harceler ses adversaires politiques et ses détracteurs dans les médias.
"Les gens avaient coutume de dire que les autres pays d'Afrique devraient suivre l'exemple de la démocratie sénégalaise mais aujourd'hui, tout le monde ici conseille de l'éviter", affirme Tine.
Le Sénégal demeure néanmoins un rare exemple de paix et de stabilité dans une région ouest-africaine troublée. Il n'a connu aucun coup d'Etat depuis l'indépendance en 1960 et ses forces armées sont respectées sur tout le continent pour leur neutralité et leurs qualités professionnelles.
Mais "Gorgui" Wade, dont l'élection en 2000 a mis un terme à quatre décennies de pouvoir du PS et qui a les faveurs des investisseurs étrangers, se voit reprocher de ne pas en faire assez pour combattre une pauvreté extrême, un chômage chronique et le désenchantement croissant d'une jeunesse qui, pour une bonne part, continue de lorgner pour son avenir vers le "mirage européen".
Compte tenu de l'absence de véritable enjeu, la campagne électorale a été terne et n'a suscité que peu d'enthousiasme de la part des Sénégalais.
"L'opposition aurait du participer au scrutin, être présente au Parlement pour faire entendre sa voix", estime un étudiant de l'université de Dakar, Sidiya Diop.
Les dirigeants de l'opposition croient, eux, qu'une abstention élevée écornera l'image de la démocratie sénégalaise dans le pays et à l'étranger.
"Les Sénégalais devraient profiter de l'occasion pour montrer à Wade leur condamnation de sa politique économique et de son refus de dialoguer", affirme Ousmane Tanor Dieng, chef de file du PS arrivé en troisième position à la présidentielle.
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