Thabo Mbeki voudrait conserver la tête du parti au pouvoir. Mais le très populaire Jacob Zuma, malgré des soupçons de corruption, a le soutien de l'aile gauche du parti.
« COMMUNIST : to be or not to be » Voilà la question qui se pose aujourd'hui derrière les débats de succession du tout-puissant Congrès national africain (ANC). Malgré le sérieux revers qu'il vient de subir de la part de sa base, le président Thabo Mbeki entend bien garder la tête du parti au pouvoir en Afrique du Sud. L'ex-mouvement de libération, qui fêtera ses 95 ans cette année, a de plus en plus de mal à faire le grand écart entre des militants de plus en plus à gauche et une direction convaincue des bienfaits du capitalisme économique.
Réunis en congrès le week-end dernier près de Johannesburg, les 1 500 délégués de l'ANC, venus de tout le pays, étaient censés définir le programme de leur parti pour les cinq années à venir. Mais les questions de succession ont volé la vedette à tous les autres thèmes socioéconomiques. « Il y a un accord général selon lequel le président de l'ANC devrait être de préférence le candidat à la présidence de la République », déclarait le secrétaire général du parti, Kgalema Motlanthe, après le vote de la motion. Thabo Mbeki, ne pouvant légalement briguer un troisième mandat présidentiel en 2009, serait donc de facto exclu de la liste.
« Le principe le plus important qui sous-tend les discussions est que le droit des militants à élire leurs dirigeants est sacro-saint », a souligné Kgalema Motlanthe.
Discours populiste
Si les délégués ont consacré une journée sur trois à débattre de la procédure de succession, c'est que le leadership du parti n'est plus en phase avec sa base. Critiqué pour ses tendances libérales et ses méthodes de technocrate, Thabo Mbeki n'a jamais vraiment fait l'unanimité chez les militants.
Mais grâce au parrainage de Nelson Mandela dans ses premières années de gouvernance, puis au centralisme protecteur des instances dirigeantes, le chef de l'État avait pu, jusque-là, étouffer les dissensions du parti.
Sur l'aile gauche du parti, le très populaire Jacob Zuma, vice-président du parti, a pourtant pris de plus en plus d'ampleur. Malgré un procès pour viol - où il a obtenu l'acquittement -, et une enquête pour corruption encore en cours à son encontre, Jacob Zuma est resté le principal rival politique du président Thabo Mbeki. Son discours populiste séduit les plus pauvres qui se considèrent comme les oubliés de la croissance.
« L'économie a explosé. Il y a un petit nombre de gens qui sont devenus très riches, mais l'essentiel de la population n'a pas vraiment bénéficié de ces richesses. Les prochains leaders du parti doivent trouver les mesures adéquates de redistribution », explique Patrick Craven. Le porte-parole du Parti communiste sud-africain (SACP) assure que débat de succession et questions socio-économiques sont inséparables.
Pour preuve, le pays sort de la plus grande grève de son histoire. Plus de 700 000 fonctionnaires, docteurs, ou enseignants du service public ont tenu la rue pendant plus d'un mois pour obtenir du gouvernement des hausses de salaires.
Face à une ANC divisée, la centrale syndicale Cosatu (South African Convention of Trade Unions) a tenu à montrer que l'ANC ne pourra jamais gouverner sans l'assentiment de son bras syndical.
Depuis sa création, la triple alliance qui réunit le mouvement de libération ANC, la centrale syndicale Cosatu et le Parti communiste sud-africain, SACP, a connu bien des turbulences. Sa viabilité est à nouveau sur la sellette.
Certains politiciens de l'opposition blanche souhaitent ardemment la rupture pour mettre fin à un régime de parti unique qui étouffe toute vie politique réelle. D'autres, plus à gauche, estiment que le pays a toujours besoin de cette alliance pour consolider une démocratie encore fragile ou les inégalités ne font que s'accroître.
Reste que les « recommandations » des militants, qui empêcheraient
Thabo Mbeki de garder la tête du parti, n'ont rien de définitif. Elles
doivent être renvoyées à la base pour faire l'objet de nouveaux débats.
Elles devront ensuite être votées par le congrès du parti en décembre
prochain. « Si
les dirigeants du parti pensent que les intérêts de l'ANC et du pays
seront mieux servis par quelqu'un d'autre, pas de problème », avait rétorqué le chef de l'État à la chaîne publique SABC. « Mais s'ils disent :»vous devriez rester*, pour je ne sais quelle bonne raison, ça pourrait être bien aussi. »
Pour le chef de l'État, qu'importe la base si les dirigeants du parti
lui demandent de rester. Le fossé ne fait que se creuser. Les six
prochains mois risquent d'être animés.
Caroline Dumay (Le Figaro)
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