C’est plutôt flatteur pour l’orgueil national et cela montre que les charmes de la « Diongoma » Sénégal ne sont pas aussi fanés qu’on le prétendait. Elle dispose même de beaux restes, apparemment. Voir des grands groupes capitalistes, des firmes multinationales se battre pour les beaux yeux du petit Sénégal, c’est bon pour le moral national. Au moment ou il n’est question que de désengagement de l’Afrique, de lâchage du continent, cela prouve que si les vilains immigrants nègres sont indésirables partout, leurs marchés eux intéressent encor beaucoup de monde.
A preuve, la gigantesque bataille qui se mène en ce moment même entre deux opérateurs maritimes parmi les plus grands du monde, et dont l’enjeu n’est autre que la concession du terminal a conteneurs du Port Autonome de Dakar et la construction du futur Port du futur, vous excuserez la redondance. Cette bataille, elle oppose le groupe français Bolloré à l’entreprise publique des Emirats Arabes Unis Dubaï Port. Ces entreprises constituent en elles même des puissances capables de pulvériser notre petit pays rien que par leur force de frappe financières. Pour la gestion, l’exploitation et le développement de son Terminal à conteneurs, le Sénégal, par le biais du Port Autonome de Dakar (PAD), avait lancé un appel d’offres international auquel avaient soumissionné quatre groupes dont les trois ont en commun d’avoir des filiales dans notre pays et d’être des opérateurs du Port de dakar. Il s’agit du regroupement Cma-Cgm/Bolloré, les deux premières entités étant des armateurs et l’autre un opérateur, de Maersk-Sealand, de Getma International/Msc. Le quatrième candidat, c’était Dubaï Port. L’affaire aurait dû se jouer entre gens de bonne compagnie, entre vieilles connaissances, d’aucuns diraient entre larrons en foire mais voilà, le Port de Dakar a corsé son appel d’offre au point que seul Dubaï port pouvait remplir les critères demandés. Les règles ont-elles été modifiées au cours du match ? On ne saurait répondre à cette question pour le moment. Toujours est il que pendant que nos opérateurs traditionnels songeaient à se défendre dans un combat jusque là à fleuret mouchetés et se faisaient des politesses, le quatrième larron est venu rafler la mise. Un larron il est vrai grandement favorisé par l’Etat, pardon le Port de Dakar. Car, parmi les critères édictés par la société nationale, il fallait donner la preuve de sa capacité à gérer des terminaux à conteneurs d’un trafic annuel cumulé de cinq millions d’EVP (conteneurs Equivalents vingt pieds). La communauté portuaire de Dakar ne remplissait ce critère décisif.
Mais c’est surtout sur la question relative au délai de livraison du troisième Terminal à conteneurs, composante du port du futur, que l’opérateur de Dubaï a fait la différence en proposant de livrer l’ouvrage dès 2010 là où le groupe Bolloré proposait 2011 au plus tôt. Adjudiciaire provisoire, Dubaï Port va réaliser d’ores et déjà un investissement de 65 milliards de francs CFA pour développer l’infrastructure et l’équipement du terminal dont il va prendre la gestion. « Ce programme de développement fera du port de Dakar un terminal Multi-Utilisateurs de classe internationale, proposant des services de haute qualité aux clients présents et à venir. Les travaux permettront de doubler la capacité du terminal à conteneurs existant, qui passera ainsi de 250 0100 à environ 550 000 EVP. L’autorité portuaire réalise actuellement 300m de quais additionnels et une zone de pistes d’accostage à 730m, avec 22 hectares de terre-plein.
La seconde phase du projet consistera à concevoir, financer, construire et gérer le nouveau Terminal à conteneurs, le port du futur, dont la capacité potentielle atteindra 1,5 millions EVP. Le Port du futur, qui devrait être opérationnel début 2001, exigera un investissement global de plus de 200 milliards de francs CFA ». Voilà notamment ce qu’on peut lire dans l’encart publicitaire publié par Dubaï Port dans les journaux sénégalais dont « Le Témoin », si l’on prête foi aux dires des syndicalistes selon lesquels le Groupe Bolloré avait mis sur la table la coquette somme de 350 milliards de francs CFA pour les deux opérations, c’est-à-dire la concession du terminal à conteneurs et la construction et l’équipement du port du futur, alors force est de convenir que tout s’est joué au niveau des délais de livraison. Et là, certains cadres du PAD affirment sans rire que le groupe français ne pouvait pas terminer les travaux du port du futur avant…2022 ! Qui veut noyer son chien l’accuse de rage.
Toutes les règles de transparence ont-elles été respectées ? Y a-t-il eu coup bas ? Le meilleur c’est-à-dire le mieux disant a-t-il gagné ? Ce sont là les seules questions qui vaillent. L’important c’est que le Sénégal puisse tirer le meilleur parti financier possible de la privatisation de la gestion de son terminal à conteneurs et que, pour ce qui est du port du futur, il ait retenu la meilleure proposition financière assortie des meilleurs délais de construction. Pourvu, bien sûr, que toutes les normes de sécurité et de fiabilité soient respectées. S’est t-on entouré de toutes les garanties nécessaires ? Le meilleur a-t-il vraiment gagné sur tous les tableaux ? En l’absence d’éléments d’appréciation, beaucoup de zones d’ombres subsistant dans cette affaire, la prudence s’impose et pour le moment. Dubaï port, qui est un opérateur portuaire, n’est pas un armateur et d’ores et déjà d’aucuns s’inquiètent de savoir si l’entreprise émiratie sera capable d’emmener des lignes au Sénégal, contrairement à ses concurrences malheureuses. L’avenir nous le dira.
En l’état actuel des choses, on ne peut que saluer l’effort des autorités d’ouvrir la compétition au-delà du cercle de nos amis traditionnels, notamment français. Lesquels, à force d’avoir raflé des marchés au Sénégal et pour avoir fait souche, en étaient sans doute arrivés à se croire en territoire conquis et avaient fini par concrétiser notre pays comme leur chasse gardée. Ils avaient donc tendance à dormir sur leurs lauriers et à ne guère consentir d’efforts pour être compétitifs. Tant mieux, donc, si l’arrivée d’entreprises et d’opérateurs venus d’autres régions du monde les tire de leur profond sommeil et les pousse à se remettre en question. Tant mieux si elle fouette leur ardeur. C’est un peu comme une vieille épouse qui avait tendance à se laisser aller et que l’arrivée d’une jeune épouse pousse à se faire belle, à soigner sa mise et à prendre enfin soin de son Aladji afin de ne pas le perdre. Au moment ou le président Sarkozy - qui s’exprimait alors comme candidat à la présidentielle française- affirme un rien méprisant que la France n’a pas besoin de l’Afrique sur le plan économique, il est amusant de constater qu’un de ses meilleurs amis du Cac 40, M Vincent Bolloré, celui là même qui a mis à sa disposition son avion et son yacht personnels au lendemain de son élection, que M. Bolloré, donc, ferraille pour gagner un marché dans un pays africain. Comme quoi, il ne faut jamais dire « fontaine, je ne boirai jamais de ton eaux ».
Un des bons côtés de la mondialisation, c’est d’ouvrir des marchés et les frontières, d’instaurer une compétition féroce à l’échelle du monde, de faire sauter les chasses gardées et autres arrieres-cours et « pré carré ». Les entreprises hexagonales et leurs filiales locales gagneraient donc à se pénétrer de cette nouvelle donne. La France ne peut pas vouloir « lâcher » l’Afrique tout en s’agrippant sur ses marchés. Presque sans compétition, France Telecom avait remporté la privatisation de la Sonatel. Presque sans compétition la Saur, filiale du groupe Bouygues, avait remporté le contrat d’affermage de l’eau à travers la Sde. Presque sans compétition, le consortium franco-canadien Elyo-HydroQuebec International avait gagné la privatisation de la Sénelec, laquelle avait été re-nationalisée par la suite. Par contre, lorsqu’il y a eu une vraie compétition, l’industriel automobile indien « Tata » avait gagné le marché du renouvellement des autobus de Dakar devant le Français Renault. Une autre preuve de la non compétitivité (due à une entente illicite sur les prix ?), c’est le fameux marché de l’élargissement de l’autoroute, de Malick Sy à la Patte d’Oie. Un marché que le Français Fougerolles avait failli remporter pour 42 milliards de francs CFA. Finalement, le consortium sénégalo chinois composé de Talix et Henan Chine a raflé la mise pour …. 24 milliards de francs. Ce dernier exemple, le premier Ministre Macky Sall, s’était d’ailleurs plu à le citer aux patrons français qui l’avaient reçu au siège du Medef international à l’occasion de sa visite de travail en France. C’était en juin 2006. « Il faut que vous soyez compétitifs si vous voulez gagner des marchés chez nous » avait dit le chef du gouvernement à ses interlocuteurs. Au moment où Chinois, Indiens, Saoudiens (l’entreprise Ben Laden qui a gagné le marché de la construction de l’aéroport de Diass), Emirati, Marocains, Malaisiens et autres rodent autour du Sénégal et d’autres pays africains, il est peut être temps que les entreprises françaises s’ajustent et se secouent un peu. Cela dit, toute compétition devra se faire dans la transparence sans qu’une force de frappe financière, qui s’exprimerait sous la forme de dessous de table, puisse fausser les règles du jeu. Et puis, pour prendre l’exemple du foyer polygame, l’arrivée de la nouvelle épouse ne doit pas faire oublier les bon moments passée avec la première ni ses excellents états de service. Car si le Sénégal a pu tenir jusqu’ici au point de susciter la convoitise de tous ces investisseurs _ lesquels ne sont pas des philanthropes _ c’est bien grâce à la France, notre amie des bons et des mauvais jours, qui n’a jamais cessé d’être à nos côtés, de nous défendre, de nous épauler au sein des instances internationales, notamment au niveau des institutions de Bretton Woods. La France qui a soutenu notre monnaie, bouclé nos fins de mois, formé nos élites, veillé sur notre sécurité. Et dont les entreprises sont les premiers employeurs privés de notre pays. A défaut de favoriser celles-là, que le gouvernement veille au moins à ce qu’elles ne soient pas victimes de coups bas et d’actes anti-jeu. Ce serait bien le moins. Malheureusement, depuis l’avènement du régime de l’Alternance, force est de constater que les entreprises françaises ne sont pas à la fête du fait notamment de décisions de notre glorieuse justice. Entre autres injustices dont ont été victimes ces entreprises, la condamnation de la société générale de banques au Sénégal (Sgbs) à payer près de cinq milliards de francs Cfa à l’homme d’affaires Ady Niang, qui n’est autre que le débiteur de cette même banque. Un débiteur qui, plutôt que de payer ses dettes à sa banque créancière, voit cette dernière… condamnée à lui payer de l’argent. Il y a eu également la condamnation de la Sdv, navire amiral du groupe Bolloré au Sénégal, à payer à l’homme d’affaires Abdoulaye Dieng, par ailleurs député du Parti démocratique sénégalais (Pds), la somme de 2,5 milliards de francs CFA pour des faits qui ne paraissent pas évidents aux yeux du commun des mortels. Or, qui connaît bien Vincent Bolloré, qui est roi du maritime en Afrique de l’Ouest et Centrale, sait qu’il n’est pas homme à se laisser faire sans réagir. Surtout au moment où son copain Nicolas Sarkozy est président de la République française. Il se dit d’ailleurs que c’est peu de temps après qu’il a perdu la concession du port d’Abidjan que les rebelles du Front Nord ont pris les armes pour tenter de renverser le régime du président Gbagbo. Ils n’ont pas atteint leurs objectifs, certes, mais ont occupé la moitié Nord de le Cote d’Ivoire pendant presque cinq ans ! Wade a intérêt à surveiller ses arrières.
Mamadou Oumar Ndiaye (Source : Le témoin)
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