La réaction face à l’ampleur de l’abstention ne fait pas que des vagues au Sénégal. La presse étrangère, habituée à vanter le modèle démocratique sénégalais, a modéré ses louanges à la suite de la proclamation des derniers résultats électoraux.
Le jour de l’élection, dimanche 3 juin, le New York Times titrait depuis les Etats-Unis d’Amérique Opposition Boycotts vote (l’opposition boycotte les élections). Revenant sur la transition démocratique en 2000 et sur les politiques entreprises par Abdoulaye Wade, le célèbre journal américain s’inquiétait des dérives du système et s’étonnait de ce boycott dans le pays-phare de la démocratie en Afrique de l’Ouest.
Le quotidien ivoirien Fraternité Matin titrait également sur le boycott en cette même journée, évoquant les risques de crise politique si l’abstention s’avérait forte. Et elle le fut. Mais c’est surtout en France, où la presse est plus avertie de la politique sénégalaise, que les réactions ont été les plus virulentes. Ainsi, Le Monde intitulait son article de mardi : « l’ampleur de l’abstention aux élections législatives jette une ombre sur le modèle politique sénégalais ». Sans équivoque, cet article s’employait à dénoter « les dérives du régime actuel » qui a contraint l’opposition au boycott : « le vote doit aboutir à une Assemblée presque entièrement acquise au parti du président Wade jetant une menace sur le modèle démocratique sénégalais, et ce à la veille d’une rencontre entre M. Sarkozy, qui dit vouloir une autre politique avec l’Afrique, et le président Wade » argumente le quotidien français. Son confrère Le Figaro, pourtant plus catalogué à droite, affiche les mêmes doutes : « Le modèle sénégalais s’effrite » et cite Babacar Touré, président du groupe Sud Communication « Le Parlement est devenu une simple chambre d’enregistrement, cette abstention montre que c’est tout le système politique qui est en crise et qu’une réflexion sur nos institutions est nécessaire ».
Une chose est à retenir de ces réactions. Loin de défendre la position du président réélu facilement à la présidentielle et de son parti largement gagnant pour ces législatives ce qui aurait eu pour conséquence d’accuser l’opposition pour son boycott, la presse étrangère a plutôt tendance à critiquer le régime en place.
Le monde n’hésite pas à agiter le spectre d’une passation de pouvoir en famille. Un retour aux « vieux démons » du système patriarcal en quelque sorte. Le mythe du « modèle démocratique », déjà éreinté avec l’emprisonnement de quelques journalistes lors du premier mandat du président Wade a donc pris, avec cette abstention massive, un sérieux du coup de plomb dans l’aile. Et les réactions du régime seront très minutieusement observées. Il ne s’agit plus, pour une fois, de succomber aux beaux discours de quelques dirigeants prétendument démocrates, cautionnés par des « élections transparentes » à grand renfort d’observateurs internationaux ou de représentants de la vie civile, pour affirmer qu’il s’agit là d’une démocratie moderne.
La presse étrangère, dans l’ensemble, a choisi de transmettre le message du vote-sanction illustré par l’abstention massive qui condamne tout le système politique. C’est peut-être le grand enseignement de ces réactions : la « démocratie procédurale », celle qui se cantonne aux formes (élections, institutions) à vécu.
Par Mathieu SETTE | SUD QUOTIDIEN
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