Syndicats, églises, universitaires : de plus en plus d'organisations britanniques appellent à boycotter l'Etat hébreu, constate The Observer. Mais une telle position est-elle moralement juste et politiquement efficace ?
Chaque vendredi, Gila Svirsky se poste à l'un des principaux carrefours de Jérusalem et campe silencieusement, en jean noir et tee-shirt, avec une pancarte disant sobrement : "Arrêtez l'occupation". Mais elle ne peut soutenir les initiatives de boycottage universitaire et commercial lancées par les syndicats d'enseignants et le syndicat des journalistes de Grande-Bretagne. "Je pense que le boycottage des enseignants universitaires est inutile et contre-productif, et ne fait qu'isoler les Israéliens et les Juifs en général. Je pense que ça ne fait que détourner l'attention des gens du vrai problème – l'occupation –, vers l'idée qu'Israël est une nation hors la loi."
Inondés sous le flot quotidien d'images de violence et de destruction de la société palestinienne, les syndicats, les Eglises et les citoyens britanniques en sont réduits à cette question : boycotter ou pas ? L'année dernière, le synode général de l'Eglise anglicane a menacé de retirer ses placements dans la société américaine Caterpillar, dont les bulldozers servent à démolir les maisons des Palestiniens. Le mois prochain, la Conférence méthodiste doit se réunir pour décider ou non d'investir 1 milliard de livres [1,5 milliard d'euros] dans des entreprises tirant profit de l'occupation. Le front d'opposition à l'occupation israélienne s'est élargi en Grande-Bretagne après le vote [le 30 mai] du principal syndicat de l'enseignement supérieur (UCU) en faveur d'un boycottage, et la signature par un groupe d'éminents architectes d'une pétition condamnant l'implantation de nouvelles colonies et la construction du mur par Israël [le 19 juin, le syndicat de fonctionnaires Unison doit à son tour se prononcer sur un boycott des produits israéliens].
"Certains extrémistes de gauche israéliens soutiennent le boycottage lancé par les syndicats britanniques", remarque Svirsky. Mais d'autres militants de gauche se disent tristes ou indignés, explique Yaron Izrahi, professeur de sciences politiques. "Pendant des années, les intellectuels et les commentateurs britanniques ont été une aide précieuse pour le mouvement pacifiste israélien contre la droite. Leurs critiques – comme celles émanant de France ou des Etats-Unis – pouvaient nous servir. Mais cette sentence d'excommunication risque de nous priver de cette ressource."
Omar Barghouti, analyste politique, est l'un des initiateurs de la Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d'Israël, qui a été la première organisation palestinienne à appeler au boycottage universitaire international en réaction aux conditions d'exclusion auxquelles sont confrontés les universitaires palestiniens. Si Barghouti reconnaît que certains universitaires palestiniens s'y sont opposés, en particulier Sari Nusseibeh, le président de l'université Al-Quds, à Jérusalem, la plupart soutiennent l'appel au boycott. Barghouti rejette également les affirmations de la gauche israélienne, qui prétend que ses intellectuels se trouvent en première ligne de la lutte contre l'occupation. A l'appui, il cite une étude réalisée par le sociologue israélien Yehouda Shenhav, qui démontre, dit-il, qu'entre 2002 et 2004 seuls 8 des 133 sociologues des cinq plus grandes universités d'Israël ont adopté une position morale contre l'occupation, et que l'on retrouve cette proportion chez les spécialistes d'autres sciences humaines.
Le document sur le boycott préparé par Barghouti et ses collègues sera transmis au syndicat des maîtres de conférences de Grande-Bretagne afin qu'il y soit débattu. Tom Hickey l'a déjà lu. Professeur de philosophie à l'université de Brighton, auteur de la motion appelant au boycott universitaire, il a déjà été traité d'"antisémite" pour avoir appelé au boycott depuis deux ans. "Je pense que les appels au boycott se renforcent à cause de ce que les gens voient tous les jours à la télévision, de ce qu'ils lisent dans leurs journaux. Il y a un sentiment, partagé par tous, qu'au bout de quarante ans les choses ne font qu'empirer et qu'il n'y a pas d'espoir de changement. Ce qui m'a le plus impressionné dans le débat, ce sont les gens qui se sont exprimés plus tard, qui ont dit : 'Montrez-nous ce que l'on peut faire d'autre'."
Si Hickey espérait lancer un débat, la réponse a été une violente contre-attaque des groupes de pression pro-israéliens et des défenseurs de l'Etat hébreu aux Etats-Unis. Mais le projet de boycott n'a pas seulement contrarié les partisans d'Israël. De nombreux journalistes et universitaires, dont de fervents sympathisants des Palestiniens, se sont dit outrés par cette idée, qui, selon eux, revient à menacer à la foi l'impartialité journalistique et la liberté d'expression universitaire.
Peter Beaumont
The Observer et Courrier international
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