Selon Akram Belkaïd, chroniqueur au Quotidien d'Oran, l'élection d'un candidat qui "a racolé dans les bas-fonds de l'extrême droite", promet des lendemains difficiles à la France et des relations âpres avec l'Algérie.
Courrier international : Comment analysez-vous cette victoire de Nicolas Sarkozy ?
Akram Belkaïd : Ségolène Royal n'a pas réussi à convaincre les centristes. Alors que Nicolas Sarkozy a pu garder les électeurs qui avaient voté pour lui, y compris ceux du Front national. Les "histoires de rénovation" du Parti socialiste ne sont pas une recette-miracle, ça se fera peut-être un jour, mais ça ne pouvait pas se faire entre deux tours. Le Parti socialiste va peut-être avoir enfin le débat interne qu'il aurait dû connaître après la défaite de la présidentielle de 1995 ou après celle de 2002, si c'est un parti qui veut se mettre en ordre de marche pour 2012. Il doit accomplir des choix douloureux : il faudra qu'il se sépare d'une partie du PS qui n'est pas social-démocrate. Les jours difficiles sont là... Cette élection, c'est la victoire de la démagogie, du discours qui a racolé dans les bas-fonds de l'extrême droite et qui a été une espèce de rouleau compresseur. Avec le soutien évident des quatre cinquièmes des médias français, c'est ce qui m'interpelle le plus. Cette campagne médiatique était une opération d'artillerie lourde qui a très bien fonctionné : ça promet des jours difficiles à la France. Sarkozy va devoir livrer ce qu'il a promis : il n'est pas là pour faire plaisir aux classes populaires et aux démunis. Il y aura des frictions dans la société. J'espère que ses concessions à l'extrême droite n'étaient que tactiques. En tant que président, il va devoir garantir la paix sociale. C'est un gros pari pour lui, s'il est intelligent, il va devoir rassurer une partie de la France.
Quelle influence cette élection aura-t-elle sur les relations entre la France et le monde arabe ?
La grande question, c'est "est-ce que Sarkozy va être celui qui va rompre avec la politique arabe de la France ?" Avec l'Algérie, on risque de grosses tensions sur les questions de mémoire coloniale, s'il met le traité d'amitié sous le boisseau, s'il fait un geste de réhabilitation de l'OAS (Organisation de l'Armée secrète), comme il l'a évoqué récemment, je crains le pire. Il pense qu'il peut normaliser les relations avec l'Algérie en faisant du business. En promettant d'échanger la technologie du nucléaire civil contre le gaz algérien, s'il pense que c'est suffisant pour normaliser les relations entre Alger et Paris, il se trompe. Il ne faut pas qu'il oublie l'aspect mémoriel. Sur le dossier du Sahara occidental, il va falloir qu'il donne enfin sa position. Il ne pourra pas éternellement rester muet. Alger et Rabat attendent sa position avec beaucoup d'impatience. Mais surtout, il est très attendu sur la question du Moyen-Orient. Il a un passif : Sarkozy a refusé de se rendre dans les territoires occupés. C'est l'un des rares hommes politiques français à avoir affiché son soutien à Israël pendant la guerre au Liban. S'il s'avère que Sarkozy est réellement le néo-conservateur qu'il semble être, la France sera hors-jeu au Moyen-Orient.
La campagne présidentielle a-t-elle intéressé les Algériens ?
Elle a été très suivie en Algérie. Elle a bien plus passionné les Algériens, que celle des législatives qui se dérouleront le 17 mai dans leur pays. Ils avaient les résultats de la présidentielle française très tôt. Dès 17-18 heures sur la télé de Suisse romande. Ils se passionnent déjà pour les conjectures autour du nom du futur Premier ministre. Ils auraient préféré l'élection de Ségolène Royal parce que Sarkozy a repris à son compte une partie du discours lepéniste. C'est l'homme du durcissement de la politique des visas. Les Algériens se sentent proches de leurs cousins en France. Leur perception, c'est que les Français d'origine maghrébins vont vivre des temps difficiles. D'habitude, le PS n'est pas très apprécié en Algérie. Lors des présidentielles de 1995 et 2002, les Algériens soutenaient plutôt Chirac que Jospin. Mais Sarkozy ayant rompu avec l'héritage gaulliste, ils se sont éloignés de l'UMP. Il s'agit davantage d'un rejet de Sarkozy que d'une adhésion à Royal. Même si la personnalité de Ségolène Royal a impressionné dans le Maghreb. L'image de Sarkozy a changé : au début, il était bien perçu à cause de son discours sur la discrimination positive et du fait qu'il était fils d'un étranger. Mais les événements dans les banlieues et son discours sur l'identité nationale ont tout changé : aujourd'hui, il est stigmatisé.
Propos recueillis par Pierre Cherruau
(Courrier International)
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