Nicolas Sarkozy a suscité beaucoup d'attentes à l'étranger en annoncant une réorientation diplomatique. Les experts relativisent.
INQUIÉTUDE RUSSE, perplexité chinoise, craintes arabes, résignation turque et, à l'inverse, satisfaction américaine et empressement britannique : c'est peu dire que les orientations diplomatiques de Nicolas Sarkozy ont suscité dans le monde des réactions contrastées. Le décalage est net entre ces jugements portés à l'étranger, anticipant des évolutions de fond de la politique étrangère de la France, et l'analyse des experts parisiens qui, eux, sont plutôt portés à minimiser l'idée d'une « rupture » diplomatique.
Plutôt que de tabler sur une véritable réorientation de la politique étrangère, nombre de spécialistes français privilégient l'option réaliste en soulignant que la carte des « valeurs » brandie dès dimanche soir à la face du monde par le président élu devra nécessairement s'accommoder des réalités lourdes du terrain, des rapports de force internationaux et des intérêts économiques. En clair, selon ces mêmes spécialistes, les chambardements, anticipés par certains, redoutés par d'autres, seront forcément tempérés par le pragmatisme d'un nouveau venu sur la scène internationale, plus soucieux d'imprimer sa marque, notamment par rapport à son prédécesseur, que de sacrifier aux canons d'une « idéologie ».
Certes, « le discours de Nicolas Sarkozy contient des marqueurs idéologiques qui annoncent des réajustements substantiels, estime Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Entre deux pôles, la stabilité et le réalisme d'une part, la démocratisation et l'idéalisme d'autre part, le curseur va être repositionné dans cette dernière direction ». Toutefois, relève ce même expert, « par rapport à la Chine et à la Russie, une éventuelle réorientation de nos relations n'irait pas de soi », compte tenu notamment des positions adoptées par nos principaux partenaires européens.
Embellie sur les relations transatlantiques
« Il y aura moins d'embrassades avec Vladimir Poutine et Hu Jintao, mais la France ne fera pas cavalier seul sur une ligne de plus grande fermeté », estime encore Bruno Tertrais. Le dossier énergétique constituera une préoccupation majeure du nouveau président et continuera à peser lourd dans les relations avec Moscou. « Autant l'affichage sur les valeurs risque de rester sans grandes conséquences, autant, dès qu'il s'agira des intérêts économiques, Nicolas Sarkozy aura le souci de promouvoir les intérêts français », juge François Géré, président de l'Institut français d'analyse stratégique. Pour lui, le prochain hôte de l'Élysée s'inscrit dans une « logique blairiste » et sera avant tout soucieux, comme le premier ministre britannique, d'infléchir ses engagements et ses alliances dans le sens de l'intérêt national.
Vis-à-vis de la Chine, « je ne vois pas Nicolas Sarkozy se poser en défenseur des droits du Tibet », relève encore François Géré. Pour lui, les relations avec Pékin seront avant tout dictées par le pragmatisme et la volonté de « faire peau neuve » après les années Chirac.
Les relations transatlantiques, sur lesquelles s'annonce l'embellie, pourraient elles aussi illustrer les limites des rééquilibrages voulus par Nicolas Sarkozy. Entre Jacques Chirac et George W. Bush, les affinités n'ont jamais été fortes, même avant la crise irakienne. « Les relations seront plus faciles avec Sarkozy, avec sans doute une moindre méfiance envers Paris », souligne Bruno Tertrais. Mais il met aussi le doigt sur deux obstacles sur lesquels la réconciliation risque de se heurter : l'apparente volonté de Nicolas Sarkozy de revoir le dispositif français en Afghanistan, ce qui n'aurait guère l'heure de plaire aux Américains, tout comme le fort engagement pris dimanche par le président élu sur Kyoto et les gaz à effet de serre.
Aucun infléchissement fondamental n'est à attendre avec les États-Unis avant l'élection présidentielle de 2008 dans ce pays. « Sarkozy va assister à la fin de l'ère Bush et se gardera bien de tout engagement qui nuirait à ses relations avec un futur président démocrate », analyse François Géré.
La gestion de la crise iranienne s'inscrira dans la même épure. « On va assister à une reconnexion entre l'Élysée et le Quai d'Orsay qui était sur une ligne plus « dure », prédit Bruno Tertrais. « Mais sur le fond, ajoute-t-il, l'ajustement restera modeste et l'élection de Sarkozy ne va pas changer la donne. » Des sanctions hors ONU à l'encontre de l'Iran pourraient se profiler plus nettement. Mais « il n'y aura pas d'américanisation de nos positions », estime Bruno Tertrais.
ALAIN BARLUET (Le Figaro)
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