Le débat sur une éventuelle dévaluation du Franc CFA résonne de nouveau, renvoyant l’écho d’officines ultralibérales, de lobbies lestes à arpenter les couloirs et lambris dorés des centres de pouvoirs, sans que de façons réfléchie et rationnelle on ne questionne la pertinence d’une révision de la parité Euro/ F CFA . Par le Cabinet Taha Finance Consulting.
En vérité rien ne saurait justifier aujourd’hui une seconde dévaluation, sinon la voracité du puissant lobby de l’ex-CFDT. Car économiquement, mettre les problèmes de la filière coton sur le seul compte de la parité du franc est un non sens. En effet, un autre levier de compétitivité se trouve être la productivité qui implique de la part des compagnies cotonnières un effort d’investissement, de recherche-développement, de gestion des ressources humaines et de corporate governance. Dans ce cadre de la gouvernance d’entreprise, une bonne gestion consisterait, pour l’ex-CFDT à céder ses actifs immobiliers en France et en Espagne, pour un réinvestissement dans son « core-business ». Rappelons que rien que le siège parisien est évalué à 35 millions d’euros (près de 23 milliards de f cfa). C’est donc un raccourci facile que d’évoquer la seule parité du francs CFA et du coup faire l’impasse sur les ajustements structurels que nécessite la filière coton. Par ailleurs, les aides de l’Union européenne et des Etats-Unis à leurs agriculteurs, directes ou indirectes, compatibles ou en contradiction avec les règles de l’Omc, faussent la concurrence et mettent en danger bien plus le secteur primaire en Afrique.
D’un point de vue idéologique, il est vrai qu’aux politiques keynésiennes de soutien de la demande des ménages et d’intervention massive du budget de l’Etat ( au moyen du déficit et de l’inflation), a succédé la rigueur monétariste, avec Milton Friedman, prônant une maîtrise de la masse monétaire avec en filigrane une lutte sans merci contre l’inflation. Cette politique de rigueur, illustrée en France par Bérégovoy dans le but de mettre fin aux dévaluations du franc français face au Mark allemand et connue sous le nom de « politique du franc fort », a conduit sous l’impulsion de la Buba (la défunte banque fédérale allemande) et dans le cadre du marché unique puis de l’union monétaire aux fameux critères de Maastricht.
La parité actuelle de l’Euro, par rapport au dollar, est d’abord le fruit de cette rigueur aux niveaux des finances publiques (taux d’inflation, niveau d’endettement et plafonnement du déficit budgétaire). Quant au franc Cfa, sur la lancée de la première dévaluation de 1994, et dans le cadre de la création d’une Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), il a été édicté des critères de convergence reprenant ceux de Maastricht. Ces critères de convergence, au nombre de huit, servent de soubassement et de justification à la parité issue de la dévaluation et à son maintien dans le contexte de l’avènement de l’Euro.
De même, la sous-évaluation du dollar est le fait, murement réfléchi, de la Réserve Fédérale américaine dans le but de faire face à deux contraintes extérieures majeures. La première est l’énorme déficit commercial vis-à-vis de la Chine. Selon une étude de l’Académie chinoise des sciences, l’excédent commercial chinois pourrait progresser de 42,8% en 2007, après une hausse de 74.2% en 2006 pour s’élever à 254 milliards de dollars. En effet, les Etats-Unis sont devenus le deuxième partenaire commercial de la chine, avec un commerce extérieur en hausse annuelle de 27.4% entre 2001 et 2005. Les exportations chinoises, de 200 milliards de dollars en 2000 et 760 milliards de dollars en 2005, se chiffrent à 870 milliards de dollars en 2006, d’après une étude de l’Eurasia Institute. Les derniers chiffres du commerce extérieur américain révèlent que le déficit commercial américain vis-à-vis de la chine s’est creusé au mois de mars 2007. De 57.9 milliards de dollars en février 2007, il s’est établi à 63.9 milliards de dollars en mars 2007. Les réserves de changes chinoises sont estimées à 875 milliards de dollars libellées de 70 à 80% en dollars us. Pour diminuer cet énorme déficit commercial et accroitre la compétitivité des produits u.s par rapport au marché chinois, la politique monétaire américaine consiste à sous-évaluer le dollar par rapport au yuan chinois.
La seconde contrainte extérieure américaine, qui explique que la FED (réserve fédérale) sous-évalue le dollar, est la flambée des cours du brut. L’énorme facture pétrolière, de la première puissance économique et industrielle, exploserait avec un dollar plus fort et exposerait davantage la balance des paiements américaine. En effet, les produits américains coûteraient plus chers (d’où un accroissement du déficit commercial) et les facteurs de productions deviendraient plus onéreux.
Aujourd’hui, une dévaluation du F Cfa aurait pour première conséquence un surenchérissement de la facture pétrolière et partant une hyperinflation. De tels effets annihileraient du coup tous les efforts d’ajustement structurel et de lutte contre la pauvreté. Dans le contexte actuel de cours élevés du brut, c’est moins le prix du coton qui compte que le montant de la facture pétrolière et la parité Euro/Dollar. En effet, la faiblesse du dollar dans ce contexte de flambée des prix de l’or noir est une aubaine pour les économies importatrices, en ce sens qu’elle amortit le choc pétrolier consécutive à la guerre en Irak. A contrario, une hausse du dollar, notamment par une révision de la parité Euro/CFA, doublée d’un niveau élevé des cours du pétrole mettrait le feu aux poudres de nos finances publiques.
On ne peut donc vouloir une chose et son contraire. La politique de rigueur et d’assainissement des finances publiques, dans le but de lutter contre l’inflation et le cycle du surendettement, de relancer l’investissement grâce à la modération des taux corollaires d’une monnaie forte, si elle doit être révisée voire réajustée, ne peut et ne doit en aucun cas, sous le prétexte fallacieux de la dégradation des cours du coton, donner lieu à la seule révision de la parité du F CFA.
Il apparaît à la lumière de tout ce qui précède que ce n’est pas le F CFA qui est surévalué mais plutôt le dollar qui est sous-évalué. Les seules difficultés de la filière cotonnière ne sauraient justifier une révision de la parité Euro/Cfa. Les conséquences d’une telle révision seraient désastreuses tant du point de vue économique et social que politique. Elle remettrait en cause jusqu’à la justification d’une zone franc et la pertinence des politiques de convergence entamées depuis une bonne dizaine d’années.
Par Nettali
L’article aborde le débat non-lieu de la dévaluation du franc CFA uniquement sous l’angle de la question cotonnière ou plus précisément de la compétitivité de la filière coton des pays partageant en commun cette monnaie. Il en conclut par conséquent, qu’une telle dévaluation est non seulement inopportune, injustifiée, mais contre productive eu égard au coût supplémentaire qu’elle occasionnerait dans l’approvisionnement du pétrole. En cela c’est juste. Mais ce point de vue est tout simplement étriqué, partiel et manque de profondeur sur un sujet complexe de par ses implications économique et financière mais aussi de par le fait qu’il relève également de la question de la souveraineté politique des pays et au-delà de leur volonté politique commune.
Il est saisissant de revenir sur la démonstration faite dans l’article et à laquelle j’adhère des intérêts qui sous tendent la politique monétaire américaine. En gros, les Américains gèrent le dollar en fonction de leurs intérêts économiques. Cela confirme la célèbre phrase : ‘Le dollar c’est notre monnaie et c’est votre problème’. Cela met également en lumière le fait que la question monétaire relève de la souveraineté nationale.
Revenons maintenant à la Banque Centrale Européenne, institution en charge de la monnaie unique européenne ‘l’euro’. Une seule question : Est-ce que les décisions de pilotage de l’euro décidées par la BCE prennent-elles en compte la situation économique des pays ayant en commun le franc CFA et leur compétitivité commerciale au niveau mondial ? La réponse vous la connaissez : c’est NON, NON et NON. Pourquoi ? Parce que l’objectif majeur et unique de la BCEE est ‘la lutte contre l’inflation’.
Donc pour résumé à ce stade. Les Américains gèrent le dollar essentiellement en tenant compte de leurs intérêts économiques et commerciaux. Les Européens gèrent l’euro avec comme objectif la lutte contre l’inflation dans la zone euro. Et les Africains ayant en commun l’usage du franc CFA demeurent comme des légumes, sans aucune réaction ni initiative à part subir de plein fouet les effets des politiques monétaires de ces deux entités que sont les Etats-Unis et surtout l’Union Européenne. Et c’est cette posture que l’article défend avec une extrême légèreté !
Toujours sur la conduite des politiques monétaires, il est intéressant ici de rappeler comment les Chinois gèrent le yuan [leur monnaie] face au dollar. En gros, et pour éviter des développements à rallonge, je résume la situation. La chine qui exporte une grosse part de sa production vers les Etats-Unis maintien artificiellement sa monnaie le yuan faible vis-à-vis du dollar. Elle conduit sa politique monétaire en essayant avec succès de maintenir une parité dollar/yuan faible. Cette posture à l’avantage ‘énorme’ de rendre les produits chinois très compétitifs sur le marché américain. Face à cette situation qui perdure, les Américains exercent une pression continue ponctuée de menaces de tous genres sur les Chinois pour que ces derniers lâchent du lest afin que le yuan s’apprécie un peu plus face au dollar. Conséquence, cette politique souhaitée par les Américains pénaliserait en partie les exportations chinoises vers les Etats-Unis, ce qui résorberait en partie l’énorme déficit commercial américain face à la Chine. Inutile de dire que les Chinois résistent et qu’ils ont les moyens de le faire.
Que nous enseignent ces trois situations à savoir : américaine (le dollar), européenne (l’euro) et chinoise (le yuan) ? Que la politique monétaire est avec l’arme budgétaire le second levier sur lequel s’appuie toute politique économique ! Or, les pays africains ayant en commun le franc CFA ont de force laissé le pilotage de leur politique budgétaire entre les mains des institutions de Breton Woods que sont principalement la Banque Mondiale et le FMI. Du coût, il ne leur reste que la politique monétaire pour toute relance économique. Mais là encore, ces pays ont historiquement et avec un entêtement à faire pâlir une mule, abandonné leur politique monétaire entre les mains de Paris par l’entremise du trésor français et depuis peu entre les mains de la BCEE. Inutile de dire que Francfort n’a rien à cirer de ce qui se passe sous les tropiques africains lors de ces décisions de remontée ou de baisse des taux directeurs de l’euro. Et face à tout cela, les africains doivent-ils continuer de faire les morts ? Je dis NON, NON et NON.
Edgard VODOUHE
Rédigé par : Edgard VODOUHE | 17 juin 2007 à 16:28