Ségolène Royal dit qu'avec elle, «il n'y a pas de risque». Sous-entendu, il y en aurait avec vous...
Nicolas Sarkozy. Je crois que, dans l'histoire de la Ve République, on n'a jamais entendu de propos aussi violents ni aussi menaçants. Expliquer que, si on ne vote pas pour une candidate, on aura de la violence, c'est ni plus ni moins refuser l'expression démocratique et républicaine. On n'a jamais vu ça, jamais! C'est une forme d'intolérance préoccupante. Les Français auraient donc le choix entre voter pour Mme Royal, et tout se passera bien, ou voter pour moi et ce sera la violence. Ce langage guerrier est la négation des règles démocratiques élémentaires.
Je ne comprends pas pourquoi une personne de la qualité de Mme Royal se laisse aller à une telle violence verbale. Je vois là la gauche la plus sectaire, qui considère qu'est illégitime toute personne qui ne pense pas et ne parle pas comme elle. Dire cela, c'est insulter les millions d'électeurs qui ont voté pour moi au premier tour. La France a besoin d'ouverture, de tolérance, de respect, de rassemblement.
Ségolène Royal vous a souvent comparé à Bush. A qui la compareriez-vous?
Je ne me permettrai pas de caricaturer ma concurrente. C'est une femme que je respecte. On n'a pas les mêmes convictions, mais je ne me laisserai aller ni à des injures, ni à des propos blessants. Elle est Ségolène Royal et si j'avais un seul conseil à lui donner, ce serait de rester elle-même en ne jouant pas la caricature d'un rôle qui ne lui va pas bien. Je ne peux penser que c'est sa vraie nature. C'est sans doute parce qu'elle n'a pas le moral.
Et la comparaison avec Bush ?
Mme Royal a du mal à rentrer dans le débat. Plutôt que d'expliquer ses propositions ou de critiquer les miennes, elle a voulu me caricaturer. Mais le combat a cessé faute de combattants, puisque je ne suis pas entré dans ce jeu de démolition. Je ne suis pas sûr d'avoir des leçons à recevoir de la candidate socialiste en politique internationale, elle qui est rentrée émerveillée de Chine avec des propos élogieux sur la «rapidité» de la justice chinoise; ni des leçons de sa tolérance, elle qui recommande rien moins que le boycott des Jeux olympiques de Pékin. Pour le reste, je ne vois pas ce que j'ai à voir avec M. Bush. Je suis moi-même, je défends mes propres idées.
« Mme Royal s'inscrit dans la tradition du sectarisme le plus caricatural de la politique française »
Pourrait-il y avoir, si vous êtes élu, deux France à réconcilier, un peu comme en 1981?
C'est extraordinaire! On contesterait au candidat arrivé en tête au premier tour, avec 11 millions et demi de suffrages, sa capacité à rassembler? Si ma faute, c'est de ne pas être de gauche, je confirme que je ne le suis pas. En 1981, M. Mitterrand a été élu président de la République et les chars soviétiques ne sont pas arrivés place de la Concorde. Tout cela me rappelle ceux qui défilaient en disant à propos du Général de Gaulle «le fascisme ne passera pas», ou qui parlaient de «facho Chirac». «Mme Royal s'inscrit dans la tradition du sectarisme le plus caricatural de la politique française».
Vous dites votre volonté de vous appuyer sur une majorité extrêmement large. A quoi rassemblerait-elle?
Je souhaite une majorité présidentielle à trois pôles: un pôle UMP, un pôle du centre avec l'UDF puisque la quasi totalité des élus de l'UDF, en sécession avec leur leader, m'ont rejoint. Et un pôle de gauche avec des hommes et des femmes qui ne renoncent pas à ce qu'ils sont, mais qui soutiennent ma candidature et participeront à mon quinquennat parce qu'ils croient au mouvement. Je souhaite que nous nous retrouvions sur un contrat de gouvernement. Je veux faire la meilleure équipe de France possible, avec une seule étiquette: la nouvelle majorité présidentielle.
Quel sera le profil de votre Premier ministre?
Je l'ai en tête. Mais je pense que, par respect pour les Français, on ne doit pas dire cela avant d'avoir été choisi. Il ne faut pas se répartir les postes. Je veux quelqu'un qui ait la capacité d'être un chef d'équipe, qui relaie l'action du président, et soit celui qui mettra en oeuvre le projet présidentiel.
« Nulle part dans les quartiers, je n'ai fait un mauvais score »
Avez-vous des mots à adresser aux jeunes des banlieues? Entre eux et vous s'est installé pour le moins un malentendu?
Ces malentendus ne se sont pas traduits dans la réalité électorale. Nulle part dans les quartiers, je n'ai fait un mauvais score. Alors je voudrais dire aux 230.000 jeunes des quartiers en difficulté qu'à chacun je trouverai une formation, un contrat, une rémunération. A chacun je tendrai la main pour que tous puissent vivre dignement de leur travail. En échange, je leur demanderai de suivre cette formation, et de faire l'effort de se lever tôt le matin. Nul ne sera laissé sur le bord de la route. Il ne s'agit pas seulement pour moi de refaire les immeubles, mais de trouver un emploi à des gens qui doivent de nouveau croire et espérer en la République française.
Pensez-vous que dimanche soir, si vous êtes élu, il puisse y avoir dans certains quartiers, certaines banlieues, de mouvements de révolte, de violence?
Est-ce à dire que certains contesteraient les règles de la République et la loi de la majorité ? Je ne peux pas l'imaginer. D'ailleurs cela ne s'est jamais vu. Je suis candidat depuis cinq mois, j'ai fait des centaines de déplacements, il n'y a jamais eu une manifestation. Malgré tous les efforts de Mme Royal , le «Tout sauf Sarkozy» - n'a pas rencontré un grand succès.
Quelle leçon tirez-vous de ce long parcours à travers la France ?
La passion des Français pour la politique, à l'inverse de tout ce qui a été raconté. La vraie politique, celle qui pose les vraies questions, sur les vrais sujets, avec les vrais débats, sans tabous. Deuxièmement, je retiens une quête formidable de sens, d'identité.
C'est une campagne qui s'est jouée sur les valeurs, pas sur telle ou telle proposition. Les élections de 1997 se sont faites sur les 35 heures, et celles de 2002 sur la sécurité. Celles de 2007 se feront sur les valeurs : le travail, l'autorité, le respect, la responsabilité, l'identité. Qu'est-ce que la France? Que signifie être français? Quel est notre avenir? Au début, quand je parlais de la France, ça étonnait.
« Il y a une crise morale française qui porte un nom, c'est la crise du travail »
C'est un pays qui a envie de vivre ensemble? On en doutait au moment de la crise des banlieues...
Il y a une crise morale française qui porte un nom, c'est la crise du travail. C'est un pays qui a envie de vivre ensemble, qui a envie d'une culture commune, d'une morale commune, de valeurs communes.
Un pays en déclin?
Le modèle social français n'est plus le meilleur. Nous avons des chômeurs. Le système d'intégration n'est plus le meilleur. Notre système économique n'est pas le meilleur puisque nous avons moins de croissance que les autres. Il faut apporter des réponses à ces questions-là. Je dis aux Français qu'il nous faut changer pour rester fidèles aux idéaux de la République. Je crois que le plein emploi est possible. Je crois qu'on peut maîtriser l'immigration, qu'on peut réconcilier la société avec une école de la République qui soit une école de l'excellence et de l'exigence.
Quel seraient vos premiers actes comme président de la République?
En matière économique et sociale, d'ici l'été, la possibilité d'exonérer de charges sociales et d'impôts les heures supplémentaires; la possibilité de déduire les intérêts de ses emprunts immobiliers; l'établissement de sanctions aggravées pour les multirécidivistes avec des peines plancher et la modification de l'ordonnance de 1945 sur les jeunes mineurs; le service minimum, très attendu par les usagers des transports publics. Ces mesures, nous les mettrons en place tout de suite.
J'ai deux autres priorités. La première semaine de mon élection je recevrai les partenaires sociaux pour préparer quatre grandes conférences: sur la démocratie sociale, la parité des salaires hommes/femmes, le contrat de travail unique et le pouvoir d'achat et les 35 heures. La deuxième journée, je recevrai l'ensemble des organisations non gouvernementales en charge de l'Environnement pour poser les bases de l'organisation d'un Grenelle de l'environnement qui se tiendra à l'automne.
Les changements se mesureront tout de suite ?
Si les Français me font confiance, on se mettra au travail à la première minute de la première heure de la première journée. Et j'arrêterai mon travail à la dernière minute de la dernière heure de la dernière journée.
Comment voyez-vous, si vous êtes élu, le déroulement de la campagne législative ?
Si je suis élu président de la République le 6 mai, il est normal que je me préoccupe du résultat des législatives des 10 et 17 juin. Je m'engagerai pour demander aux Français une majorité pour mettre en oeuvre le programme établi. Je dis aux élus centristes qui m'ont soutenu qu'ils auront l'étiquette de la majorité présidentielle.
L'opération Bayrou a échoué?
C'est à lui de savoir où il se trouve. Je ne suis pas persuadé qu'il le sache à l'heure où nous parlons.
Vous avez annoncé que, si vous êtes choisi par les Français, vous aurez une période de «retraite» avant de prendre vos fonctions à l'Elysée ?
Les institutions de la République prévoient que Jacques Chirac est président jusqu'au 17 mai à zéro heure. Un républicain digne de ce nom doit respecter ces délais scrupuleusement. Il n'y a pas deux Présidents de la République. Il n'y en a qu'un seul. Le Président de la République, c'est donc Jacques Chirac jusqu'au 17 mai à zéro heure. Je trouve, par ailleurs, très utile que le Président élu ait une dizaine de jours pour habiter la fonction, prendre la mesure de la gravité des charges qui pèsent désormais sur ses épaules, se reposer après le fracas de la campagne et pour prendre la distance nécessaire pour devenir l'homme ou la femme de la Nation. Je mettrai à profit, si les Français me font confiance, cette dizaine de jours pour cela.
Assisteriez-vous dans ce cas aux cérémonies militaires du 8 mai? En 1995, Jacques Chirac fraîchement élu y avait assisté...
J'ai évoqué cette question avec le Président de la République. Comme je vous l'ai dit, il n'y a qu'un seul président de la République, c'est donc à lui de le faire. Cela s'était passé différemment en 1995, parce que c'était un passage entre la gauche et la droite. Mais entre Jacques Chirac et moi-même, les relations sont apaisées, confiantes, amicales. Je ne vois vraiment pas pourquoi donner l'impression d'une République à deux têtes.
Le lieu de votre possible «retraite» est secret?
Il sera toujours temps de le dire le moment venu.
Quelle sera votre première mesure pour relancer l'Europe?
Si je suis élu, j'irai rendre visite à la présidente de l'Union européenne et chancelière d'Allemagne, Angela Merkel parce que la relation franco-allemande cela compte et que l'Europe doit redémarrer.
Vous serez un Président pour qui porter la voix de la France sera essentiel?
L'un de mes tout premiers voyages sera pour l'Afrique. L'une de mes grandes ambitions sera l'Union méditerranéenne, qui est un sujet capital. Le message de la France est capital. Il doit être porté sans agressivité et sans complexe. Je veux une France qui ne transige pas sur ses valeurs et défende les droits universels. Je veux qu'on soit à côté de toutes les femmes martyrisées dans le monde, qu'on retrouve Ingrid Betancourt, qu'on vienne au secours des infirmières bulgares condamnées en Libye...
« Une campagne, ce n'est pas une thérapie personnelle »
Qu'avez vous appris de vous-même durant cette campagne, que vous ne soupçonniez pas?
Une campagne, ce n'est pas une thérapie personnelle. Je vais vers ce rendez-vous de dimanche prochain sans exaltation, sans excitation, avec beaucoup de calme. Je ne me l'explique pas d'ailleurs. Je ne peux pas de dire que je me sens prêt, car ce serait arrogant. Mais j'ai le sentiment d'avoir fait ce que j'avais à faire. De toute façon ce que je ressens se voit tout de suite. Je ne cache jamais rien.
Quel sens aura votre victoire, si vous l'emportez?
Si je l'emporte, c'est que j'aurai reçu des Français un mandat clair pour porter le changement dans notre pays, pour assumer la rupture tranquille, pour obtenir des résultats, faire reculer l'impression de fatalité, rassembler les Français et les aimer. Je ne me suis pas dissimulé dans cette campagne. Je me suis adressé directement au peuple français. Je lui ai dit tout avant pour pouvoir tout faire après. D'une certaine façon, j'ai pris tous les risques.
Ce sera la victoire de la droite? Je ne suis pas réductible à la seule droite française. Il y a 400 000 adhérents à l'UMP. J'ai eu 11,4 millions de voix au premier tour. Ce n'est pas rien.
A l'approche du verdict des Français, qu'avez-vous envie de leur dire ?
Le 14 janvier 2007, j'ai dit «J'ai changé». Je ne suis pas sûr qu'à ce moment là tout le monde m'ait cru. Mais ce «j'ai changé» a pris aujourd'hui, je crois, de la crédibilité.
Propos recueillis par Béatrice Houchard, Dominique de Montvalon, Henri Vernet et Ludovic Vigogne
Commentaires