Qu'est-ce que l'intelligence économique et comment peuvent en tirer parti les entreprises africaines? Cet article vous donne quelques éléments de réponse. C'est un interview de Patrice Passy (directeur de MIQ Conseil).
1-L’importance accrue du renseignement économique dans les affaires
Avec le développement des transports et des réseaux informatiques, le village planétaire devient une réalité. Les entreprises africaines de dimension internationale sont désormais contraintes d'ajuster leurs stratégies en fonction d'une nouvelle grille de lecture intégrant la complexité croissante des réalités concurrentielles à l'oeuvre sur ces différents échiquiers mondiaux, nationaux et locaux.
L'efficacité d'une telle démarche repose sur le déploiement de véritables dispositifs d'intelligence économique qui instituent la gestion stratégique de l'information comme l'un des leviers majeurs au service de la performance économique et de l'emploi. L'intelligence économique devient un outil à part entière de connaissance et de compréhension permanente des réalités des marchés, des techniques et des modes de pensée des concurrents, de leur culture, de leur intention et de leur capacité à les mettre en oeuvre. Elle se définit alors comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement, de distribution et de protection de l'information utile aux acteurs économiques obtenue légalement (Rapport Martre. XIXème plan). Une mise au point utile s’impose tout de même. L'expression " intelligence économique " restitue mal le métier et est trop ambiguë.
De la même manière, la définition de l'intelligence économique donnée par le XIXème plan est beaucoup trop floue et complexe. Pour les Anglo-saxons, faire de l'IE (intelligence économique) c'est faire "du renseignement pour les affaires ". Ca a le mérite de la clarté. Une fois clarifié sachons que dans ce 21e siècle de guerre économique permanente, l’information est :
1. Une matière stratégique
2. Un produit à haute valeur ajoutée
3. Une marchandise qui n’a de la valeur que pour qui en a besoin
4. Sa gestion un métier Sa maîtrise une arme offensive et défensive dans notre rapport du faible au fort avec les multinationales françaises.
Quelques erreurs au coût financier et humain très élevé liées à la non maîtrise des enjeux de l’information.
1. Si les entrepreneurs africains avaient été informés de la dévaluation du franc CFA, nombreux n’aurait pas déposé leur bilan.
2. Si Air Afrique avait une stratégie pilotage de ses actions, de conquête de nouveaux marchés et de protection de son patrimoine, elle n’aurait pas sombré lamentablement.
3. Plusieurs de nos responsables politique et économique, négocient avec des partenaires dont ils ignorent tout, résultat des contrats bidon, des négociateurs et des milliards de francs qui disparaissent sans espoir d’être retrouvés…
4. Le capitalisme français n’a pas d’histoire, de mémoire et d’affect, il n’a que des intérêts à préserver et du profit à faire, il n’a jamais protégé nos intérêts, gare à l’angélisme dans les affaires.
5. 91% des négociations commerciales avec des français pour des projets commerciaux en Afrique n’aboutissent jamais, faute d’information professionnelle sur les enjeux, les intérêts, la stratégie et les motivations de vos partenaires.
2 - Situation actuelle de la gestion de l’information professionnelle dans nos entreprises
D’emblée nous précisons que ce n'est pas le concept ou son utilisation qui pose problème en Afrique, car la présente livraison porte sur les moyens d'actions permettant de créer un cadre de travail et un état d'esprit nouveau, pour une meilleure présentation de l’intelligence économique en tenant compte des évolutions et variables économiques africaines et aussi de la nouvelle économie. C'est à nous de définir notre intelligence économique, qui devra être adaptée à notre environnement, à nos réalités et à nos besoins. La colonisation économique dont souffrent nos pays, interdit aux acteurs et dirigeants africains d’attendre un schéma extérieur.
L'analyse de l'existant nous fournit le constat suivant :
a) L'information reste encore un privilège, que l'on n'a pas encore traduit ou compris comme un outil de travail.
b) L'information ne circule pas encore dans le logigramme fonctionnel des entreprises faute de transparence interne et de volonté, parfois de rigidité structurelle, organisationnelle ou mentale.
c) A cela peut-être ajouter un manque de culture de renseignement, une absence de société du secret, une inertie de la direction.
Ainsi dans les Etats francophones deux structures sont confrontées à la gestion de l'information et son exploitation : la présidence de la République et l'entreprise publique ou privée. La faiblesse des structures étatiques, du tissu industriel et le poids énorme de l'Etat font que seule la présidence de la République en dessous duquel se trouvent trois ministères clés qui gèrent l'information comme un moyen d'action politique et non économique, celui de l'intérieur, de la défense et celui de l'industrie et de l’économie, du plan... Accessoirement la chambre de commerce, les instituts économiques, les milieux affairistes, le patronat. La faiblesse des moyens dont dispose l'Etat et l’extrême porosité de nos services de renseignements lui privent des systèmes d'analyses et d'informations permettant d'établir des cadres stratégiques de développement économique et de croissance. La deuxième structure qui, du fait de sa configuration actuelle exploite l'information est, l'entreprise publique ou privée. Il va sans dire qu'au sein des entreprises existe bel et bien un système d'information mais, qui ne traite souvent que des activités traditionnelles de gestion (facturation, stock, comptabilité, paie, production) et d'administration. Etant souvent en situation de monopole les entreprises ignorent tout ou ne tiennent pas compte de l'environnement concurrentiel, de la protection de leur patrimoine ni des rapports économiques internationaux pouvant affecter leur fonctionnement dès la première difficulté.
Lorsqu'elle existe dans les entreprises seules quelques personnes bénéficient de cette information. N’oublions pas que l’information renforce le pouvoir et ce dernier ne se partage pas en Afrique.
Dans les faits cela se traduit par une démotivation évidente du personnel non associé à l'apport ou la gestion des connaissances. Or tout processus de valorisation de coproduction des connaissances passe par une vision collective de la finalité de l'information.
3 - Comment est gérée l’information en entreprise ?
L’information s’impose progressivement comme un instrument de compétitivité. Nous reconnaissons que beaucoup de PDG africains, plus préoccupés par la conservation de leur poste que par la compétitivité de leur entreprise ne peuvent s’ouvrir à de nouvelles compétences qui les obligent à partager l’information pour une meilleure rentabilité. Car, l’information n’est pas encore perçue comme un moyen d’action pour agir en interne sur les motivations, et agir à l’extérieur pour influencer tous ceux qui agissent sur l’entreprise (clients, fournisseurs, concurrents, administrations, citoyens).
1. Le système de gestion du renseignement pratiqué est la donc la centralisation, le détenteur ne veut pas mettre ses informations sur la place publique car cela est perçu comme une perte de pouvoirs ou perte de centralisation de l'entreprise.
2. La diffusion rétention, c'est-à-dire qu’en fonction des situations de crise souvent ou selon ses intérêts, quelques informations sont distillées.
3. La culture du secret de l’information est pour son détenteur une arme, un enjeu du pouvoir, une protection contre tout ceux qui en interne exigent la transparence et des résultats.
4 - Comment avec ces difficultés, l'intelligence économique peut-elle être un levier complémentaire à la compétitivité des entreprises?
D’abord, il devient de plus en plus pressant que les acteurs économique et politique de nos pays soient parfaitement informés des évolutions de leur marché pour saisir les opportunités d'affaires et réduire les risques dans les actions qui engagent l'avenir de leur entreprise, partant l’économie du pays. Mais l'information est devenue tellement dense et variée aujourd'hui qu'il leur est difficile de la traiter qualitativement et rapidement sans mettre en place une démarche appropriée, un cadre législatif incitatif et un accompagnement assumé des pouvoirs publiques.
Pour répondre à ce besoin, l'intelligence économique a pour but d'optimiser au sein des entreprises les opérations de recherche et d'exploitation de toute l'information utile pour éclairer et guider les prises de décisions stratégiques. C’est un véritable outil d’aide à la décision. Ensuite, la solution se trouve aussi paradoxal que cela puisse être, dans les faiblesses de nos structures étatiques et dans nos référentiels culturels. Soulignons que l'avantage concurrentiel dans nos pays ne doit pas être conçu en terme d'avantage compétitif, il doit l'être en une réflexion et mise en œuvre des conclusions et recommandations portant sur une recherche au développement harmonieux.
Enfin, il est établi que ce n'est toujours pas la puissance de l'appareil économique ni de production de données qui fait la force d'un système d'intelligence économique, mais plutôt sa capacité à organiser un maillage stratégique offensif et défensif avec définition d'un cœur stratégique nationale permettant la décision (cas du Japon). Il va de soi que la mobilisation autour de cette nouvelle méthode de travail ne peut se faire sans les institutionnels, sans les entreprises, la société civile et les acteurs de l'économie informelle. Notre référentiel culturel peut être considéré comme un atout puissant dans la mise en place d'une connivence intérieure visible et exploitable économiquement. Le contrôle social qu'exerce la communauté, notre système d’interconnaissance sont des réducteurs d'incertitudes, un puissant filtre des normes donc un vecteur de « codes économiques » ayant une influence décisive pour l'homogénéité du groupe permettant à terme la mutualisation des intérêts des groupes économique.
La communauté en Afrique joue un rôle important dans le partage et la gestion de l'information. Cependant son poids dans la société inhibe les initiatives individuelles et dilue l'individu, mais cela fortifie les liens communautaires et oriente aussi le choix de l'activité économique des groupes, développe une solidarité qui maintient un contrôle social permettant ainsi la mise en place des réseaux rampants (informel) de lobbying imbus d'une culture de renseignement que l'on active en fonction de(s) l'objectif(s).
Rôle de l’Etat
1 - Dans un premier temps, les dirigeants politiques doivent comprendre la portée du cadre juridique et législatif à mettre en place. L'intérêt national doit être mis en exergue pour que les acteurs économiques locaux puissent avoir des marges pour se battre convenablement sur un marché international mondialisé. Une coopération avec tous les acteurs économiques est nécessaire pour bâtir un plan stratégique offensif et la mise en place de cellules d'intelligence économique dans les ministères et organes vitaux de la nation.
2 - Il faudra intéresser les acteurs économiques et motiver ceux ci, les rendre responsables de la réussite d'une entreprise, par la communication institutionnelle et la valorisation de nouvelles méthodes de management et d'organisation de nos entreprises. N’oublions pas que sans insertion de manière valorisante des cadres, agents de maîtrise, et employés, dans le dispositif de production de richesses, d'appropriation technique et permanente de l’information en vue de son exploitation, il est impossible d’envisager un tel dispositif. La mise en place d'une stratégie ouverte visant l'utilisation stratégique de l'information ne devait pas poser de problèmes du fait de la légèreté de nos structures.
3- Il faut que l'Etat facilite la mise en place d'une politique de sécurité économique, par une prise en compte de la sécurité « alimentaire » des cadres, des enjeux de la guerre économique mondiale et surtout la sensibilisation de tous les acteurs impliqués dans le développement du pays.
4- Enfin, il est aussi nécessaire d'organiser au niveau national, une politique de sensibilisation au patriotisme économique (intérêts stratégiques de la nation). La cible principale sera la société civile, surtout les jeunes, les acteurs économiques et tous les agents de l'Etat, pour une meilleure motivation et implication dans la démarche d'intelligence économique pour le développement global du pays. Le développement d'un pays ne peut se faire aujourd'hui qu'à travers l'interaction des trois acteurs suivants : Etat, opérateurs économiques, société civile. Seule la maîtrise de cette dynamique peut favoriser aussi bien le développement humain que les agrégats économiques des pays africains.
Note de Grioo.com: Patrice Passy (MIQ Conseil)
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