Avec le retour du beau temps sur l'Atlantique, le flux d'émigrants clandestins a repris de plus belle vers les îles Canaries. Le 20 mai, le gouvernement espagnol a expulsé plus de 1 000 d'entre eux – principalement vers le Sénégal. Pour le quotidien burkinabé Le Pays, les gouvernants africains sont en partie responsable de cette situation.
La nature est redevenue clémente en Europe, la mer s'est calmée, mais les candidats à l'aventure, eux, se déchaînent. C'est la saison de l'exode pour des milliers d'Africains, pour qui aucune perspective autre que le départ pour l'Europe n'est envisageable. A la saison dernière, on s'était ému des grappes humaines accrochées à des embarcations de fortune et voguant vers une mort presque certaine. Dirigeants européens et africains avaient sonné la mobilisation générale afin que de telles scènes ne se reproduisent plus. Un an après, force est de reconnaître que beaucoup de bruit a été fait pour rien.
En réalité, face au déploiement d'initiatives diverses des Européens, les Africains, eux, sont restés, comme toujours, attentistes. Le Premier ministre espagnol, dont le pays est frappé de plein fouet par le phénomène, a multiplié les visites sur le continent, signé des accords, livré des équipements (et peut-être de l'argent), déplacé sa frontière jusqu'aux côtes africaines, pour qu'enfin les dirigeants africains s'occupent de leurs jeunes. Evidemment, cet engagement est calculé : donner juste ce qu'il faut pour mener la lutte sans pour autant offrir aux pays concernés les moyens de leur réelle autonomie économique.
Hier, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait suscité un tollé général avec son "immigration choisie". Devenu président, il a approfondi son idée en créant un ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement. Là encore, vive indignation de la gauche française et de certains Africains qui semblent malheureusement mener un combat d'arrière-garde. Car, pendant que les dirigeants occidentaux bâtissent des remparts physiques et juridiques contre l'immigration, pour répondre certainement aux préoccupations de leurs opinions nationales, à quoi assistons-nous du côté de l'Afrique, sinon aux éternelles lamentations. Aucune stratégie continentale fiable n'a été à ce jour élaborée pour résoudre la question de l'immigration clandestine massive. En fait, les pouvoirs publics du continent, après avoir montré leur incapacité à apporter une réponse claire au chômage et à la misère des populations, ont abdiqué sur le plan de la gestion du phénomène de la fuite des bras valides et des cerveaux hors du continent. D'ailleurs, pour bon nombre de dirigeants, cet exode est une épine en moins, d'autant qu'il les débarrasse de la frange de la population qui pose problème, la jeunesse.
Il n'y a pas pire fuite de responsabilité que cette attitude qui consiste à pousser pratiquement les jeunes hors du pays parce qu'on est incapable de leur offrir un cadre d'épanouissement. Comme l'avait dit méchamment, mais peut-être à raison, un socialiste français, la France (et par extrapolation l'Europe) ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Cette phrase prémonitoire se confirme aujourd'hui sur le plan institutionnel et étatique en Europe. Mais l'Afrique continue de se comporter comme si un retour en arrière était possible, comme dans les années de prospérité où l'Europe, en plein boom industriel et immobilier, avait besoin d'une main-d'œuvre africaine bon marché. Les temps ont changé, l'économie moderne emploie peu de travailleurs, et les syndicats européens eux-mêmes en sont les premières victimes. Seule l'Afrique continue à croire que les frontières des pays riches doivent continuer à s'ouvrir à ses milliers de désespérés.
Au regard des urgences qui s'imposent dans la nécessité d'endiguer le flot des fuyards, créer un ministère de l'Immigration ne devrait rien avoir de scandaleux. On a souvent eu une vision réductrice des préoccupations des gouvernants qui les mettent en place. Or l'Afrique elle-même a surtout besoin de ce type de ministère, en tant que continent de départ des immigrés. D'abord, quand l'expatriation est intelligemment gérée, elle constitue une source de revenus importante pour nos pays. Le Sénégal et le Mali, pour ne citer que ces deux pays africains, reçoivent chaque année d'importants fonds rapatriés par leurs ressortissants vivant à l'étranger. Mais, en même temps, il ne faut pas perdre de vue que ce sont autant de compétences qui sont vidées du continent, et que l'argent envoyé de l'extérieur ne peut nullement compenser la perte de ressources humaines, généralement les plus dynamiques.
L'Afrique, à défaut de devenir l'eldorado européen auquel rêvent les milliers de candidats à l'exil, doit offrir un minimum de possibilités aux jeunes pleins d'ambition et porteurs de projets viables. Visiblement, même ce minimum vital est introuvable. Par la faute de dirigeants qui, dans leur majorité, ont érigé leurs Etats en véritables repaires de népotisme et de clientélisme, où ne peuvent s'exprimer les esprits libres et indépendants. Il faudra donc s'attendre encore longtemps à vivre avec effroi et humiliations ces sacrifices humains aux dieux de la mer, par la grâce de dirigeants irresponsables et d'une jeunesse lasse de ne rien voir venir.
Courrier International
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