Il existe, quelque part, un mauvais procès fait à la décision de l’opposition de boycotter les prochaines élections législatives et locales, si un bilan de la présidentielle n’est pas effectué et l’audit du fichier franchement exécuté de manière achevée. L’argument défendu, hier, sur les ondes de la Rfm, par Doudou Wade, président du Groupe libéral et démocratique, pour qui ce boycott ne le «laisse ni chaud ni froid», et uniquement adossé sur l’absentéisme des députés de l’opposition (oublie-t-il que le député Wade sous Diouf a battu le record des désertions de l’Hémicycle ?) et sur un audit déjà effectué, ne résiste point à une analyse rigoureuse.
Aucun élément de bilan de la dernière présidentielle n’est venu confirmer que le fichier électoral, dont l’audit d’ailleurs a été partiel, est d’une fiabilité incontestable. Et puis, on ne voit vraiment pas pourquoi les défenseurs enflammés de cette fiabilité se font des démangeaisons sur la demande d’un audit par l’opposition, si tant et bien qu’ils sont assurés de sa «limpidité biométrique» chantée sous toutes les chaumières libérales. Au contraire, un autre audit de ce fichier devrait conforter les tenants du pouvoir, surtout pour rallier à leur cause les sceptiques et fermer définitivement la parenthèse des suspicions, quant à l’existence de fraudes et autres micmacs électroniques.
Après l’élection présidentielle, on a quand même assisté à des révélations ou prétendue telles sur l’existence de foyers de fraudes, de poches de nébulosités qui n’ont rencontré, dans le camp du vainqueur du 25 février dernier, que de frêles et fragiles esquives, de molles velléités de contestation de gens périphériques du pouvoir. Admettons même que ce soit là, le fait de «l’opposition médiatique», ce terrible raccourci analytique peu ragoûtant qu’aiment répéter les spécialistes des affabulations particulièrement fertiles dans les allées du pouvoir, il reste que le refus du Président Wade de dialoguer avec l’opposition sur la question et des autorités de rouvrir un audit, est de nature à conforter l’opposition que les dés sont pipés à l’avance. Tout de même, pourquoi cette opposition participerait consciemment à une partie de poker électoral dont les règles du jeu, pour elle, sont faussées à l’avance ? Pourquoi elle irait se planter un couteau, puisque convaincue d’entrer dans une partie électorale suicidaire avec un fichier piégé ?
SOUS LES YEUX DU MONDE
Et puis, qu’on le veuille ou non, un boycott collectif de l’opposition la plus significative du pays sera un coup dur porté à l’image de la démocratie sénégalaise. Surtout, après une alternance dont on ne cessera jamais de dire qu’on attendait qu’elle ouvrît une page plus transparente en matière d’organisation d’élections et une plage où respirent la transparence, la clarté et la fiabilité. Si l’opposition boycotte les élections, comment Wade peut convaincre les chefs d’Etat africains, qui s’apprêtent d’ailleurs à participer à sa prestation de serment du 4 avril d’«acheter son produit» électoral qu’il disait disposé à leur filer ? En plus, du contexte choisi par l’opposition qui écharde l’image de la vitrine démocratique du Sénégal aux yeux des illustres hôtes. Quel coup dur ! Au fond, le mythe démocratique s’effondre. Bien sûr que Wade pourra trouver preneurs parmi ces chefs d’Etat africains habitués d’élections frauduleuses à ciel ouvert. Ceux-là peuvent se satisfaire au moins de scrutins à «fraudes propres», comme «avancée démocratique». Mais, y aura-t-il de quoi pavoiser vraiment avec ceux-là ? Faire même recours à «l’assistance» de squelettiques particules politiques pour donner une «légitimité démocratique» à ces élections ne règlera pas la situation et ne sauvera pas non plus les apparences.
Quant à l’opposition, il faudra bien qu’elle soit logique jusqu’au bout avec son choix et accepte, une fois faite, d’en être prisonnière au sens sartrien de la notion de liberté rapportée à cette phrase du philosophe : «Nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’Occupation.» Ici et maintenant, il faudrait que ses députés quittent les lambris et autres privilèges que leur confère leur présence actuelle et incongrue à l’Assemblée nationale. Ils auraient dû le faire depuis la décision de proroger leur propre mandat. Qui plus est, boycotter les élections législatives et locales ne peut se limiter à pousser des cris d’orfraie médiatiques. Il faut donner une substance précise et sans équivoque au boycott. La position du Pit, relayée par son leader Amath Dansokho, milite pour un boycott actif. Quel contenu précis faut-il mettre dans ce vocable aujourd’hui ? Faut-il mener campagne autour de ce slogan ? L’objectif sera-t-il de faire déserter la grande majorité des Sénégalais du chemin des urnes ? Mais, il faut convenir avec Ousmane Ngom, ministre de l’Intérieur, que l’opposition manque de cohérence, elle qui écrit à Wade à titre de président de la République tout en lui déniant la légitimité issue du dernier scrutin.
Soro DIOP (Le Quotidien)
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