La treizième journée de grève nationale en Guinée aura été la
plus meurtrière. Les forces de l'ordre ont tiré à balles réelles à
Conakry et dans sa banlieue, faisant dix-sept morts, selon les
derniers bilans, et des dizaines de blessés. Six autres personnes
auraient été tuées à Kankan et Siguiri, dans le nord-est du pays.
Depuis le début du mouvement, le 10 janvier, les affrontements ont
déjà fait au moins trente victimes. Dans la soirée, alors que la
communauté internationale appelait au dialogue, le président
Lansana Conté a choisi la répression. Des membres de la garde
présidentielle ont arrêté à Conakry plusieurs leaders syndicaux,
dont les chefs des deux centrales à l'origine du mouvement.
Salaire de misère. Hier à l'aube, les manifestants
avaient afflué par milliers vers Conakry, noyé dans la brume jaune
de l'harmattan, pour crier leur colère. Ils venaient des banlieues
entourant la capitale, avec des pancartes et des slogans simples :
«A bas le régime !», «A bas la corruption !», «Vive le
changement !». Vingt-deux ans après l'arrivée au pouvoir de
Lansana Conté, la Guinée, malgré ses fabuleuses richesses minières,
est l'un des pays d'Afrique où l'on vit le plus mal : des salaires
de misère, quand il y en a, peu ou pas d'électricité et d'eau
courante, et aucun espoir que le militaire qui a succédé à Sékou
Touré s'occupe un jour autant des affaires publiques que de celles
de son clan.
Par prudence, Lansana Conté, 72 ans, affaibli par la maladie, a
quitté sa résidence pour l'abri d'un camp militaire. Il est
aujourd'hui plus isolé que jamais. Les manifestations se sont
étendues à tout le pays, y compris aux fiefs qui lui étaient
acquis. A Labé ou à Pita, ce sont les femmes qui manifestent en
tête de cortège. Les Eglises guinéennes catholique, protestante et
anglicane se sont rangées du côté des manifestants, admettant que
«la base et l'origine du mal guinéen résident pour l'essentiel
dans la mal-gouvernance».
Montre. A l'étranger, la radicalisation de la crise,
dans une Afrique de l'Ouest instable, inquiète. La Communauté
économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a prévu
d'envoyer une mission de médiation, sans conviction, compte tenu
des relations de Conté avec ses voisins africains. La Commission
européenne, qui a condamné hier
«les violentes interventions des forces de l'ordre», menace
de geler ses fonds. Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a
lui aussi déploré l'usage
«excessif» de la force par les autorités et appelé au
dialogue.
Conté, lui, joue la montre : dans les villes, les étals des
marchés sont vides et la pénurie de denrées alimentaires commence à
se faire sentir.
http://www.liberation.fr/actualite/monde/230305.FR.php
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