Assoiffée de matières premières, la Chine a déclenché une offensive en règle sur l'Afrique.Le président Hu Jintao se rend au Nigeria et au Kenya. Certains, sur le continent, s'inquiètent: néocolonialisme et/ou globalisation?
Dans les années 50, 60 et 70, la Chine avait noué des liens en Afrique sur base idéologique, y vendant des armes et finançant des guerres de libération, tout en recevant plusieurs milliers de boursiers africains dans ses universités et en soutenant politiquement les régimes frères. Dans les années 80, Pékin commence à s'intéresser à développer sur le continent noir ses investissements et son commerce extérieur: c'est l'époque où son économie commence à prendre son essor.
Mais c'est le tournant des années 2000 qui voit l'explosion de l'intérêt de Pékin pour l'Afrique. Cette année-là est créé le premier Forum Chine-Afrique, qui rassemble 44 chefs d'Etat et de nombreux entrepreneurs pour «combattre ensemble l'hégémonisme et la domination occidentale» et établir «un nouvel ordre mondial». Pour le second Forum, en 2003, à Addis Abeba, 250 accords d'assistance économique avaient été signés et 20 sur la protection des investissements, tandis que le volume total des échanges avait doublé, passant de 10 à 20 milliards de dollars; il atteignait 37 milliards en 2005. Alors que les autorités chinoises multiplient les tournées en Afrique, où 600 entreprises chinoises sont désormais présentes, le troisième Forum est attendu pour le second semestre 2006.
Aujourd'hui, la Chine est devenue le 2 éme importateur mondial d'or noir après les Etats-Unis (25 pc de ses importations viennent d'Afrique) et, en 2005, elle a remplacé Washington comme premier client de l'or noir angolais et entrepris de bâtir une raffinerie au Soudan.
Pas d'états d'âme
Pékin n'a pas d'états d'âme. Quand le gouvernement soudanais, entre 1999 et 2001, déplace par une politique de terre brûlée «des centaines de milliers de civils» dans les zones pétrolières (Human Rights Watch, nov. 2003) pour y laisser le champ libre aux entreprises, la Chine n'en a cure, tandis que les sociétés occidentales - comme la canadienne Talisman, qui a dû quitter le Soudan après une campagne d'ONG canadiennes - sont soumises à une forte pression dans leurs pays. «La Chine n'a jamais lié son aide à l'Afrique à des conditions politiques», justifiait l'agence de presse officielle, Chine Nouvelle, en décembre 2005. Sauf une: que les partenaires africains de Pékin rompent avec Taipei.
Le cynisme chinois paie. En 2004, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) freinaient toutes les négociations en vue de prêts à l'Angola pour tenter d'amener Luanda, la guerre finie (depuis 2002), à plus de transparence sur les fonds pétroliers: l'Angola, alors 3 éme sur 102 pays les plus corrompus (Transparency international), avait vu, en 2001, un tiers des revenus de l'Etat s'évaporer, alors qu'un quart de la population avait besoin d'une aide alimentaire extérieure. Pékin mit alors à la disposition de Luanda un prêt de 2 milliards de dollars à 1,5 pc sur 17 ans, en échange de 10 000 barils de pétrole par jour. Les autorités angolaises pouvaient désormais narguer le FMI et la BM.
Au Soudan, en guerre civile, où 13 des 15 plus importantes sociétés étrangères sont chinoises, Pékin a menacé d'utiliser son veto puis s'est abstenu lors du vote par le Conseil de sécurité, en septembre 2004, d'un embargo sur les armes. En janvier, la Chine a investi 2,3 milliards de dollars dans un champ pétrolier offshore au Nigeria où le président Hu Jintao entame une visite ce mercredi. Elle achète aussi de l'or noir au Gabon et prospecte dans ce pays, au Mali, en Mauritanie, au Niger.
Un échange inégal
Mais il n'y a pas que l'or noir qui intéresse Pékin: son appétit de matières premières est immense. La Chine importe 85 pc de son cobalt du Congo-Kinshasa et achète toutes les batteries usagées du Kenya pour en prendre le plomb. Elle investit dans le fer au Gabon, dans les plantations de tabac au Zimbabwe, dans le cuivre en Zambie, dans les télécoms sur tout le continent. Elle consomme la presque totalité - 96 pc - du bois brut africain exporté vers l'Asie, décroche des concessions de pêche (50 pc des bateaux de pêche enregistrés en Sierra Leone sont chinois). En janvier 2006, elle a ouvert au Kenya sa première antenne de radio hors Chine. Elle cherche à s'implanter à la Réunion, département français, pour avoir accès au marché communautaire. Elle construit des routes sur tout le continent (500 projets), réhabilite 1 350 km de chemin de fer en Angola, inonde les marchés africains de produits ménagers, électroniques et de machines-outils.
C'est bien là que le bât blesse: la Chine importe des matières premières d'Afrique en échange d'une aide financière, voire militaire, avantageuse et y exporte des produits finis bon marché qui, s'inquiète l'Afrique du Sud, font dangereusement pencher la balance commerciale des Africains en leur défaveur. En 1992, le déficit commercial de l'Afrique du Sud vis-à-vis de la Chine était ainsi de 24 millions de dollars; en 2004, il dépassait les 400 millions de dollars.
Au Sénégal, l'Union des commerçants a manifesté contre la «concurrence déloyale» des Chinois; l'Association des consommateurs a répliqué - «Laissez les Chinois en paix» - pour défendre cette manne de produits de consommation 3 à 5 fois moins cher que ce qui était disponible précédemment.
Pas d'emplois locaux
Autre reproche fait aux Chinois: pour honorer un contrat, ils exportent pratiquement tout, main-d'oeuvre comprise (il y a 78 000 travailleurs chinois en Afrique, selon Pékin), ne sous-traitent rien localement et ne fournissent pas d'emplois aux populations africaines dont celles-ci «ont besoin autant que de pain quotidien», soulignait en mars 2006 le journal angolais «Agora».
Selon celui-ci, «la plus grande partie de cette force de travail expatriée vers l'Angola serait constituée de prisonniers de droit commun» qui «ne perçoivent aucun salaire» et «ne gagnent que leur nourriture» - ce qui permettrait aux entreprises chinoises de baisser les coûts de manière à rester sans rivale.
Marie-France Cros
© La Libre Belgique 2006
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