En organisant le grand raoût politique du 17 décembre 2005, les 24 partis de l’opposition, regroupés au sein de "clarté na leer", donnaient là encore une estocade au régime sopiste, au pouvoir depuis mars 2000. Il y avait ce jour-là Ousmane Tanor Dieng, Abdoulaye Bathily, Moustapha Niasse, Amath Dasankho, tous des ténors d’une opposition, dont certains, hier encore, étaient des alliés de Wade. Ce rassemblement était d’abord une protestation contre le couplage de la présidentielle et des législatives, que la majorité parlementaire a fait voter en force.
En effet, pour cette opposition, en décidant que les députés doivent jouer les prolongations, le pouvoir du président Wade se donne un répit pour voir les choses venir. Les opposants sont convaincus qu’en maintenant le calendrier initial, c’est-à-dire les législatives en juin 2006, le PDS de Wade aurait reçu une déculottée électorale.
Mais au-delà, et ironie de la politique, ce groupe d’opposants à deux ou trois éléments près est le même qui avait promu et soutenu à bras-le-corps Me Abdoulaye Wade en 2000, mais cette fois-ci, comme le disait un confrère, "autour de la détermination partagée de le faire partir". Y aura-t-il une alternance en 2007, la seconde que connaîtra le pays ?
Les adversaires du chef de l’Etat n’en doutent pas, car pour eux, on s’achemine vers "la fin du régime Wade". En tout cas, en observant la composition de cette opposition, Wade a du souci à se faire, même si l’on sait que souvent en politique, les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets : Moustapha Niasse et Tanor Ousmane Dieng, par exemple, sont représentatifs au Sénégal. A ceux-ci s’ajoutent les partisans de l’ex-PM de Wade, Idrissa Seck dit Idy, emprisonné à la prison de Rebeuss depuis le 15 juillet 2005.
Du reste, un fidèle parmi les fidèles d’Idy, Yankkobo Diattara dont les militants présents à ce meeting se sont signalés bruyamment. Il faut le dire, les affaires des "chantiers de Thiès" et d’"atteinte à la sûreté de l’Etat" qui ont amené Idy à l’embastillement sont très embarrassantes pour l’équipe Wade. En maintenant celui qui a été longtemps présenté comme son dauphin en prison, Wade voulait éviter, selon ses partisans, le syndrome romain entre César et Brutus. Cependant, cette détention préventive d’Idy n’est pas sans effet sur le PDS, surtout sur son patron, Wade.
Déjà le 22 juillet, le célèbre prisonnier faisait diffuser sur des radios privées un CD mettant en cause le chef de l’Etat et les membres de sa famille. Le 23 décembre dernier, devant la Commission d’instruction près la Haute Cour de justice qui l’a auditionné sur le fond, l’ancien Premier ministre a maintenu son argumentaire, qui se résume en substance à ceci : "Tout ce que j’ai fait, Wade est au courant, et c’est lui qui a dit de le faire".
Ainsi, sur les fameux comptes bancaires ouverts à l’étranger et les sommes non justifiées injectées dans la rénovation de la ville de Thiès, Wade, selon Idy, en était informé. Un mémoire en défense dont l’effet dans le camp du PDS peut être dévastateur. Sans oublier tous ceux jugés à tort ou à raison proches de l’ancien PM, qui ont été éjectés de leurs postes, et qui vont grossir ainsi le rang des dissidents du PDS. A l’évidence, le bateau PDS tangue et le plus célèbre des crânes rasés du Sénégal en a conscience.
In fine et si la tendance ne s’inverse pas ce sera l’échec en 2007 et ce n’est pas sans raison qu’il essaie de donner du temps au temps, afin de colmater les brèches. Le temps sera-t-il l’allié de Wade ? Peut-être, quand on sait aussi qu’une des faiblesses insignes de ce camp anti-Wade est l’absence d’un leader qui fait l’unanimité. Si en 2000 Wade ralliait tout le monde en son nom en 2005, personne ne se dégagerait, à moins que ce ne soit Idy s’il arrivait à se dépêtrer du bourbier juridico-politique.
Enfin, après tous ces tirs groupés et comme un pathos ne vient jamais seul, voici que le journaliste Abdou Latif Coulibaly vient de jeter un pavé dans le marigot sénégalais avec son livre-brûlot : "Affaire Me Seye : un meurtre sur commande" (lire encadré). C’est presque certain, la classe politique du pays de la Terranga ne va pas grelotter de froid cet hiver.
Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
Dakar/Ouaga
Abdou Latif Coulibaly : le Pierre Péan sénégalais ?
En 2003, il publiait "Wade, un opposant au pouvoir. L’alternance piégée ?" A l’époque, il a essuyé de véhémentes réactions de la part de proches du chef de l’Etat sénégalais, certains étant allés jusqu’à demander que soit "brisée" la plume du journaliste. Du reste, Iba Der Thiam, un fidèle lieutenant de Wade, avait répondu par un livre blanc.
Depuis deux ans, Abdou Latif Coulibaly, puisque c’est de lui qu’il s’agit, avait pris du recul par rapport au groupe sud et rédigeait rarement des articles dans Sud Quotidien. En fait, il mitonnait sa revanche et vient de rompre le silence dans lequel il s’était claquemuré en publiant un autre brulôt : "Affaire Me Seye : un meurtre sur commande" paru aux Editions "L’Harmattan à Paris". Le 15 mai 1993, Me Babacar Seye, vice-président du Conseil constitutionnel, est assassiné par trois personnes, à savoir Cledor Sène, Pape Ibrahima Diakhaté et Assane Diop.
Le livre révèle sur la base des aveux de Diakhaté, qui s’est rétracté entre-temps, que c’est Abdoulaye Wade, alors tête de liste "sopi" lors des législatives de 1993 qui est le commanditaire de cet assassinat. En rappel, ces trois personnes avaient été condamnées, puis libérées et avaient bénéficié d’une grâce présidentielle de la part de... Wade le 7 octobre 2004 et enfin d’une amnistie le 7 janvier 2005. L’ex-avocat de Wade et actuel ministre de l’Energie et des Mines a (déjà) répondu à Latif par un autre livre : "Le piège de l’acharnement".
Tout de même, ce livre, non encore disponible à Dakar, dérange, car il déclasse un dossier classé. Les familles de Maître Seye voulant, les vrais capitaines à savoir les commanditaires, et non les alevins. En outre, Latif n’est pas sans rappeler un Pierre Péan en France qui a publié récemment "Noires fureurs, Blancs menteurs" , dans lequel le président Paul Kagamé est présenté comme le maître d’œuvre de la tragédie du Rwanda en 1994.
Z. D. Z.
Observateur Paalga
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