(IRIN) - Adriana Bertini a une idée fixe : transformer le préservatif, « la meilleure façon de se protéger contre le sida », en un objet de la vie courante, un objet familier que les femmes et les hommes utiliseraient aussi facilement qu’un… vêtement.
Entre les mains de cette artiste brésilienne, le préservatif devient robe de soirée, strict tailleur-pantalon, fourreau de fête, brillant et coloré, ou exubérant costume de danseuse de samba, des créations originales qui n’obéissent qu’à un seul maître : le latex.
« Mes vêtements sont des actes militants », affirme Adriana Bertini, de plus en plus célébrée dans son pays et sur la scène de l’activisme international pour sa contribution si particulière à la lutte contre l’épidémie de VIH/SIDA qui ravage le Brésil et l’Afrique.
Ainsi, dix années d’engagement artistique ont valu à cette jeune femme de 33 ans d’être récompensée par le prix Nkosi – du nom d’un enfant sud-africain séropositif -- en décembre 2004 par l’association internationale des médecins contre le sida (IAPAC) basée aux Etats-Unis, une reconnaissance appréciée à sa juste valeur.
« C’est encourageant de savoir que mon art est reconnu à travers le monde », explique-t-elle. « Je ressentais le besoin de créer une nouvelle façon de penser, pour tenter de faire prendre conscience aux gens de la réalité de la situation, pour qu’ils réalisent les risques qu’ils courent avec le VIH et le sida ».
Invitée dans la capitale sénégalaise par l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), à l’occasion de la troisième conférence africaine pour la recherche sur les aspects sociaux du VIH/SIDA, initiée par le réseau panafricain Sahara, Adriana Bertini a dû, d’abord, faire connaissance avec l’Afrique, un continent qu’elle découvre.
« Je me sens très perturbée depuis que je suis ici », raconte la jeune Brésilienne, qui, pour l’occasion, a présenté cinq modèles, des robes de soirée et un tailleur alignés de façon incongrue entre les stands plutôt austères des organisations de lutte contre le sida.
« Je sens qu’il y a beaucoup à dire sur le préservatif, mais en même temps, ça semble très difficile : les gens n’ont pas l’air de comprendre ce que je fais », explique-t-elle.
Un visiteur hilare devant cette robe confectionnée à partir de milliers de préservatifs |
Le dialogue, un ‘must have’
Le rire gêné d’un homme interrompt l’artiste. En arrêt devant les 6 500 préservatifs multicolores qui composent la robe-fleur, il semble stupéfait. « Pourquoi avez-vous fait ça? », interroge-t-il.
Une tentative de dialogue s’instaure alors entre l’homme, Adriana Bertini et son amie et interprète Lia Vainer Schuanan, psychologue. « Qu’est-ce que vous en pensez ? », questionne à son tour la jeune femme, visiblement avide de réponses – elle n’obtiendra qu’un sourire.
Si Adriana Bertini a travaillé 365 heures sur cette robe multicolore, composée d’une blouse en préservatifs fermés et d’une longue jupe en préservatifs ouverts, c’est dans l’espoir de cet instant, quand elle peut enfin confronter ses idées avec son public, quand elle peut parler de l’enjeu que représente le préservatif pour les sociétés du sud.
« J’ai vraiment besoin de savoir comment les gens comprennent ce travail multidisciplinaire, c’est très important pour moi », explique Mme Bertini.
Un jour, raconte-t-elle, un homme est venu la remercier car, pour la première fois, il avait pu parler de sexualité à son fils de 16 ans à l’occasion de l’une de ses expositions dans un musée de Sao Paulo, où elle vit avec son mari photographe. « Alors qu’ils se promenaient, il avait fait semblant de tomber sur l’exposition, et en avait alors profité pour aborder ces questions difficiles ».
Le ministère brésilien de la Santé a bien compris l’intérêt que représente le travail d’Adriana Bertini, dans un pays très catholique comme le Brésil où le préservatif a mauvaise presse. C’est ainsi qu’il finance une étude d’impact de son art sur les comportements des Brésiliens, réalisée par Lia Vainer Schuanan.
« On a fait du très bon travail au Brésil avec le ministère de la Santé et les acteurs de la prévention, ils soutiennent mon travail car ils ont réalisé que je pouvais faire quelque chose en terme de plaidoyer », commente Mme Bertini, qui admet que son approche de la sensibilisation rencontre quelques succès, notamment auprès des jeunes séropositifs avec lesquels elle organise des ateliers artistiques.
Pour ces raisons, deux robes, exposées à Dakar, ont été données à l’Unesco au Sénégal pour servir de base de discussions.
« Je ne fais pas ce travail dans un but commercial mais comme un acte social, un travail artistique tourné vers les autres. Les robes sont à discuter dans les écoles et les universités », explique la jeune femme, entrée par hasard dans la lutte contre l’épidémie.
« J’ai commencé par travailler sur le préservatif, pas sur le sida à proprement parler », raconte cette créatrice de mode, qui a démarré sa carrière au sein de grandes maisons de couture au Brésil.
« Le sida est venu après, quand j’ai travaillé avec les enfants séropositifs : j’ai réalisé que je pouvais utiliser la mode comme un élément de sensibilisation contre le sida », commente Adriana Bertini.
Les robes sont conçues comme des sculptures et ne vivent qu’une année. Elles ne sont portées qu’à l’occasion de défilés ou exposées dans des musées et lors de rencontres sur l’épidémie de sida. Le Brésil les accueillent régulièrement, comme la Suède, où une nouvelle exposition est prévue en 2006, et le Sénégal aujourd’hui.
« Je voudrais que mon art soit visible partout, pour rappeler aux gens la nécessité de se protéger lors des rapports sexuels », rappelle Mme Bertini. « Ma réflexion porte sur une mode non pas commerciale mais conceptuelle, consciente ou inconsciente, qui affirme que le préservatif doit être utilisé au bon moment, et non pas en suivant une tendance ».
Pas d’argent pour cause de discrimination
Ainsi, l’argent recueilli par la vente des robes – une pièce peut valoir entre 700 et 5 000 dollars américains – est reversé à des associations de lutte contre la pandémie. Adriana Bertini et les personnes séropositives qui la secondent ne gagnent pas leur vie en les fabriquant, mais dépendent de sponsors qui soutiennent épisodiquement leur travail.
La matière première provient des fabricants de préservatifs : de nombreux accords ont été conclus avec des usines ou des organismes qui la fournissent en produits défectueux ou de contrebande, inutilisables par les consommateurs et destinés à être incinérés ou jetés – ce que cette ancienne militante de Greenpeace pense contraire au respect de l’environnement.
Grâce aux techniques qu’elle a mis au point au cours des dix dernières années – elle découpe, modèle, fond, colle, colorie, sculpte quelquefois sur des modèles vivants --, Adriana Bertini adapte, dit-elle, la ‘créativité brésilienne’ pour faire du préservatif un objet contemporain qui parlerait du plaisir.
« Le préservatif est perçu dans nos sociétés comme un objet rébarbatif, qui refuse le plaisir. Moi, je veux parler d’amour, du préservatif comme moyen d’être ensemble », explique-t-elle.
« Quand je travaille, je pense beaucoup à la peur que le sida inspire aux gens, à mes amis, parce qu’ils sont directement concernés à cause de leur comportement passé, des tabous et des préjudices qu’ils subissent », poursuit-elle.
Adriana Bertini est la première à subir cette discrimination qu’elle regrette.
« Les gens pensent que si je m’intéresse aux préservatifs c’est que je suis séropositive moi-même », commente-t-elle. « Certaines institutions ne souhaitent pas m’inviter pour ces raisons, des gens évitent de me parler ou de me toucher de peur que je transmette le sida… De nombreux partenariats me sont refusés pour cela ».
Du coup, bien que l’approvisionnement en préservatifs ne soit jamais un problème, obtenir des financements pour chaque heure passée sur une robe est un vrai casse-tête.
« Je souhaiterais créer des ateliers de confection de vêtements locaux ici, au Sénégal, faire de la mode avec des étudiants sénégalais parce que, pendant qu’ils fabriquent, les gens discutent de la sexualité et du sida », explique Adriana Bertini, ajoutant que ce type de projet a du mal à voir le jour, faute de soutien financier.
Pourtant, l’artiste brésilienne fourmille d’idées, pour faire du préservatif ce que la mode lui a enseigné : le goût d’un certain bonheur et le sens du partage.
Ainsi, outre le lancement d’une collection masculine – ‘Le vêtement comme protection du corps’ – elle souhaite ouvrir une ‘maison de Vénus’, où seraient exposées des sofas, des lits et des cuisines ainsi que des sculptures.
« Tout sera fabriqué à partir de préservatifs avec pour objectif de faire entrer la capote dans la vie quotidienne des gens. L’idée est de constituer des archives éducatives à partir d’une bibliothèque, de films et de cours pour les adolescents et les personnes âgées », détaille Adriana Bertini, qui souhaite ainsi faciliter les discussions familiales autour de la sexualité.
« Vous comprenez », explique-t-elle, « les préservatifs doivent devenir aussi essentiels qu’une paire de jeans et aussi nécessaires qu’un grand amour ».
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