Assise à l'entrée d’un bâtiment en construction, appelé à devenir l'un des plus grands centres commerciaux d’Afrique de l’ouest, Aicha Dieng observe les personnes qui font la queue devant les toilettes mobiles qui se dressent à une trentaine de mètres d'elle.
« Nous sommes 96 familles, et on n’a que 3 toilettes mobiles », déclare Mme Dieng, qui s’est réfugiée dans ce bâtiment un mois auparavant, lorsque les eaux ont inondé son habitation.
Mme Dieng est l’une des 20 000 personnes qui vivent sous des tentes, dans des écoles et d’autres abris temporaires à l’image du futur centre commercial de Thiaroye, depuis le mois d’août, lorsque les pluies, les plus importantes que la capitale sénégalaise Dakar ait connue depuis deux décennies, ont inondé leurs maisons.
Le gouvernement, qui estime que plus de 180 000 personnes ont été affectées par les inondations et 50 000 obligées d’abandonner leurs foyers, leur fournit des abris improvisés et de la nourriture. Mais la vie pour ces déplacés est loin d’être facile.
Dans le camp de Thiaroye, des toilettes et des douches sont en construction, mais les travaux commencés au mois de septembre s’éternisent.
« Les populations doivent aller dans la nature pour se soulager », explique Ousseynou Badio, le coordinateur de la Croix-rouge dans une autre partie du camp de Thiaroye, qui accueille 4 400 personnes au total, selon les dernières estimations militaires.
Cependant, le manque de latrines et de systèmes d’évacuation des eaux usées n'est pas le seul problème auquel sont confrontées les populations.
Des routes inondées et la rupture du contrat liant le gouvernement à la compagnie privée de ramassage des ordures ménagères dans et autour de Dakar ont provoqué des amoncellements d’immondices qui dégagent une odeur fétide à travers la ville.
« On creuse des fosses pour les ordures. C'est pas bien, mais c'est la solution du moindre mal », explique M. Badio.
Cette combinaison d’eau et d’ordures peut être mortelle, comme l’illustre l’épidémie de choléra qui dure depuis des mois et a touché plus de 25 000 personnes à travers le pays.
Mais bien que Mme Dieng, qui a été élue responsable de son bloc, reconnaisse que le paludisme sévit « en pagaille » dans son bloc, en raison des mares d'eau stagnantes qu’on trouve à l’extérieur, peu de cas de choléra se sont déclarés dans le camp jusque-là.
Selon Abdou Fall, le coordinateur d’une association caritative locale, 10 des 12 cas de choléra déclarés dans le camp concernaient des personnes qui avaient choisi de rester dans leurs quartiers inondés pour décourager d’éventuels voleurs. Elles sont arrivées à Thiaroye alors qu’elles étaient déjà malades.
«La situation là bas est bien pire», a-t-il déclaré.
Beaucoup vivent toujours dans les maisons inondées
A Thiaroye Guinaw Rail, quartier ouvrier de plus de 100 000 habitants dans lequel vivait Mme Dieng, la montée des eaux et l’accumulation des ordures ménagères ont provoqué une épidémie de choléra peu de temps après le début des pluies torrentielles qui se sont abattues sur la capitale à la mi-août.
« On a eu beaucoup de cas de choléra. Au mois d'août, on me signalait 2 ou 3 morts de choléra par jour. Mais ça commence à se calmer », a déclaré Abdoulaye Diop, le maire de la commune d’arrondissement de Guinaw Rail sud.
Les inondations sont un problème récurrent depuis quelques années, selon Mamadou Bâ, le maire de Guinaw Rail nord, une autre commune qui, comme sa voisine du sud, est implantée dans une zone de bas-fonds marécageux, dépourvue de réseaux d'assainissement et d'évacuation des eaux usées.
« Mais cette année… c'est la catastrophe. Ma commune est inondée à 100%», a signalé M. Bâ.
Et selon le maire de Guinaw Rail sud, les représentants de l'Etat, qui se sont rendus dans le quartier au début des inondations pour fournir de l’eau de javel, des moustiquaires et des motopompes, n’ont plus fait le moindre geste concret depuis.
« Ils savent ce qui se passe ici. Mais on ne reçoit rien et on ne peut pas s'en sortir », a t-il déclaré.
Les deux maires et les habitants du quartier avouent qu’ils ne sauraient quoi faire sans le soutien logistique apporté par Cheikh Modou Kara, un marabout qui compterait plusieurs centaines de milliers de disciples à travers le Sénégal. Depuis un mois, plusieurs de ses disciples construisent des digues et des canaux, et supervisent le fonctionnement des motopompes qu’il a fournies.
« Ce que font les talibés, c'est vraiment bien », a affirmé Lamine Sarr, un jeune homme de 32 ans resté pour veiller sur la maison familiale inondée.
Pour Cheikh Modou Kara, le geste de ses talibés qui resteront sur place jusqu'à la fin des inondations est un « acte de dévotion ».
« Ils n'ont pas le droit d'abandonner le quartier », a t-il déclaré.
Malgré cette assistance, les deux maires de Thiaroye Guinaw Rail estiment que sans une participation plus accrue de l’Etat, cette situation risque de se prolonger jusqu’au mois de décembre.
« Il faut une opération exceptionnelle. Si l'Etat croise les bras, ça n'ira pas », déclare M. Bâ de Guinaw Rail sud. Il suggère que les populations soient déplacées et qu’une nouvelle cité pourvue de canalisations soit reconstruite.
Une autre solution préconisée par Abdoualye Wade, le président du pays, dans son plan d’urgence baptisé Jaxaay, est de reloger les sinistrés sur un nouveau site bénéficiant d’un système d’évacuation des eaux usées et des eaux de pluie.
Mais au centre commercial de Thiaroye où la construction d’un bloc de toilettes prend des mois, Mme Dieng et les autres sinistrés ne sont pas convaincus par ces promesses. Ils préfèreraient plutôt rentrer chez eux.
« C'est pas possible de nous déménager. Nous sommes trop », affirme t-elle.
(Source: IRIN)
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