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02 novembre 2005

Commentaires

TATARD

Le camionneur de SASSANDRA.

C'était un monsieur sérieux. Il avait investi un petit héritage dans une affaire de transports routiers qui acheminait, depuis les mouillages forains de la côte, toutes sortes de marchandises vers l'intérieur du pays. Il en rapportait ce qu'il trouvait vers Abidjan. Pour éviter un transport entre Abidjan et Sassandra, il était venu à bord pour que ses marchandises soient débarquées à Sassandra. Cela n'était pas prévu dans le plan de chargement. Par bonheur, l'opération était possible sans manutentions supplémentaires et on pouvait sans dommage réaliser ses voeux.
Les armateurs ne savaient plus utiliser leurs cadres navigants pour tisser des liens commerciaux. Notre ami transporteur déplorait d'avoir à s'adresser à des intermédiaires lointains et coûteux. Il prévoyait la disparition du pavillon français dès l'indépendance des colonies.
Près de trente ans plus tard, à la retraite dans le marais vendéen, il confirma la réalisation de ses craintes.

"J'ai gardé la nostalgie de mes affaires africaines, mais je n'ai rien perdu. Contrairement à une pensée courante, on peut trouver dans le monde africain des hommes de grande qualité. Il faut savoir les sélectionner et pour cela bien les connaître.
Mes conducteurs étaient des gens sérieux, travailleurs, courageux et intelligents. Assistés d'un aide-conducteur, qu'ils recrutaient eux-mêmes, ils savaient que sur les pistes de la brousse, ils ne pouvaient pas compter sur un secours quelconque en cas de panne. Ils ménageaient leur matériel, l'entretenaient et le réparaient dans la mesure de leurs moyens.
J'en ai vu des radiateurs crevés colmatés au plâtre et à la filasse, des blocs éclatés qu'un peu de ciment à prise rapide et des chiffons obturaient pour un retour prudent.
Sur tous leurs parcours, ils faisaient un petit commerce individuel, rendaient quelques services et assuraient un transport de personnes gratuit. S'ils versaient au fossé, au lieu d'être pillés, ils bénéficiaient d'une aide de tout le village pour remettre le camion sur la piste.
Devant la menace des containers, je n'ai pas renouvelé mon matériel. Il arrivait, bien amorti, au bout du rouleau. Je l'ai donné à mes chauffeurs, ou plus exactement c'était une location-vente à bas prix. Tous les mois, ils devaient verser à mon notaire une petite somme pendant cinq ans. Au bout du compte, j'ai reçu plus d'argent que si j'avais vendu mon matériel et mes valeureux chauffeurs sont devenus des commerçants prospères. J'irai les revoir à SASSANDRA. Ils m'ont invité, non comme leur ancien patron, mais comme un vieux collègue de travail."

Un Premier Ministre avait alors voulu relancer la production automobile, en octroyant une prime de cinq mille Francs pour l'achat d'une voiture neuve, sous condition de destruction de l'ancien véhicule, quel qu'en soit l'état de conservation.
Notre transporteur colonial était outré de voir de belles autos, en bon état de marche, envoyées à la casse. Laissons-le s’indigner :

"Avez-vous regardé cette émission de télévision sur le recyclage des ordures à DAKAR?
On y voit des habiletés mécaniques, des prouesses de fondeurs, de chaudronniers et de mécaniciens admirables. Leur grand imbécile de Président de la République, formé à la française, regardait cela avec un air dégoûté. C'était pourtant l'élite de son peuple qui était en train de lui apprendre l'économie et la plus efficace des pédagogies.
Au lieu de ferrailler des voitures en bon état et du matériel électroménager, dont l'entretien devient coûteux, ne serait-il pas plus judicieux de l'offrir aux plus démunis qui ont le courage et l'intelligence d'en tirer parti? Même, si cela ne servait que de matériel de travaux pratiques, dans les écoles professionnelles africaines, quel élan on apporterait dans le développement du pays.
Quand j'étais jeune, ma première voiture a été une épave accidentée. J'ai récupéré sur d'autres épaves les pièces détachées. J'ai appris à redresser une tôle froissée, à poncer, à peindre et à recouvrir les sièges. J'en suis encore très fier et, s'il le fallait, je saurais recommencer.

Avec des colonisateurs comme lui, la communauté généreuse dont rêvait Charles de Gaulle aurait peut-être eu une chance d'exister.

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