Plusieurs
affaires d’escroquerie à l’information auxquelles s’ajoutent les
révélations faîtes dans l’ouvrage de l’ex-gendarme Patrick Baptendier
ont amené les médias à se repencher sur les liaisons dangereuses entre
le monde de l’intelligence économique et celui du renseignement privé.
Cette confusion est logique compte tenu de la situation qui prévaut
bien avant le rapport Martre. La première responsabilité de cette
confusion incombe-t-elle à une partie des chefs d’entreprise qui
appliquent une théorie de la valeur de l’information erronée mais
tenace ?
En effet, celle-ci repose sur le fait que la seule information
utile est celle que nous cache le concurrent (état des inventions,
bilan financier, portefeuille clientèle, liste des prospects
commerciaux, évaluation de la propriété intellectuelle, cartographie
des réseaux d’influence sur les marchés à conquérir). Cette trop forte
focalisation sur le secret est justement le point de départ de la
démarche d’intelligence économique. A la fin des années 80, la montée
en puissance de la société de l’information a modifié cette perception
de la valeur. L’information structurée (informatisation des données
liées au processus industriel, numérisation de l’archivage, bases de
connaissance sur les brevets, banques de données payantes sur les
innovations technologiques et les flux commerciaux,
internationalisation de l’offre dans le domaine du renseignement
commercial) et l’information non structurée (études pluridisciplinaires
sur l’environnement de l’entreprise, sites Internet institutionnels,
nouveaux médias virtuels, blogosphère, web 2.0) ont généré une nouvelle
théorie de la valeur de l’information fondée sur la rentabilité des
sources ouvertes. Cette distinction a été prise en compte dans le monde
anglo-saxon qui réfléchit aujourd’hui sur une approche globale de
l’information structurée et non structurée.
C’est justement cette dimension du besoin
informationnel qui est traitée par les différents champs d’expertise de
l’intelligence économique. La question de fond qui a été amorcée dès le
rapport Martre portait justement sur la rentabilité de l’information.
Le rapport Martre amorçait un début de réponse en soulignant que la
rentabilité des sources ouvertes était exponentielle alors que la
rentabilité des sources fermées était appelée à décliner en ordre de
grandeur. Cette vérité n’a pas encore été perçue en France. L’émission
c’est dans l’air, qui a été diffusée le 12 juin 2008 sous le titre Le
retour des grandes oreilles, est une illustration des stéréotypes du
passé sur la valeur de l’information. Le fil de l’émission reposait sur
l’idée qu’une conversation écoutée fortuitement dans un restaurant
avait une valeur plus stratégique qu’une recherche documentaire sur
Internet. Cette pensée de maquignon est encore fortement ancrée dans le
milieu des décideurs français et influe sur le type de prestation que
certains chefs d’entreprise demandent aux officines privées. Certains
patrons travaillent dans l’urgence et veulent aller vite, trop vite et
souvent sans s’être posé préalablement les bonnes questions. Les
demandes reflètent l’image de leur manque d’anticipation et d’une
certaine manière de leur impuissance à contrer la concurrence. Certains
souhaitent même parfois que ces officines recourent à des pressions
proches du gangstérisme dès lors qu’ils évoquent le recours à des
pressions physiques.
ette inculture
informationnelle a des retombées néfastes sur la structuration du
marché privé de l’information dite non structurée dans notre pays.
Certains cabinets prennent ces contrats pour vivre et les honorent
comme ils le peuvent. Là commence le mélange des genres puisque la
ligne rouge est franchie alors que ces cabinets affichent dans le même
temps sur leur plaquette des services en intelligence économique qui ne
devraient pas tomber sous le coup de la loi. Une telle confusion des
genres est fortement préjudiciable à la compétitivité informationnelle
de nos entreprises. Le Ministre de l’Intérieur veut réglementer la
pratique de l’intelligence économique. L’effort est louable mais ne
résoudra pas la question sur le fond. Les premiers responsables sont
ceux qui passent les commandes, pas ceux qui les honorent. Cette vérité
est passée systématiquement sous silence alors qu’il s’agit de la
problématique fondamentale à résoudre. Lorsque les chefs d’entreprise
auront enfin une idée claire sur les enjeux informationnels de la
mondialisation des échanges, un pas décisif aura été franchi. Il existe
en fait deux marchés de prestataires : le marché des sociétés privées
de renseignement qui comme leur nom l’indique renseignent l’entreprise
(et dans chaque pays s’applique très cyniquement la règle du pas vu,
pas pris, notamment lorsque les services rendus recoupent des enjeux de
puissance) et le marché des sources ouvertes, autrement dit de
l’intelligence économique qui doit s’exercer dans un cadre légal. La
France n’a pas atteint ce stade de maturité stratégique, excepté dans
l’appareil d’Etat et dans les expériences menées au niveau des
territoires et des pôles de compétitivité. Pour ce qui concerne les
grandes entreprises et les PME, de grandes mutations sont à l’ordre du
jour. Mais celles-ci ne pourront avoir un sens que dans un cadre
stratégique maîtrisé au niveau de la France et de l’Europe. Bernard
Carayon et Alain Juillet n’ont cessé de plaider la cause de
l’intelligence économique dans cette optique de résultats : gagner des
marchés, accompagner le développement des entreprises, créer des
emplois en France. C’est le défi qui reste à relever dans les années à
venir.
Christian Harbulot (Infoguerre)
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