Finis les états d'âme sur le manque de démocratie ou la corruption en Afrique : la France doit "défendre ses parts de marché" menacées par les pays émergents comme la Chine ou l'Inde. Le discours-programme tenu par Alain Joyandet, nouveau secrétaire d'Etat chargé de la coopération et de la francophonie, jeudi 19 juin à Paris, marque un tournant vers la défense des intérêts économiques de la France. Paris "va changer de cap" et "se repositionner sur le continent africain" pendant que sa politique de coopération va "chan ger de voilure", a promis M. Joyandet. Sur un continent "où la croissance redémarre", l'aide au développement économique, "meilleur vecteur de la démocratie", va être privilégiée.
Il y a six mois, son prédécesseur, l'ex-socialiste Jean-Marie Bockel, avait fait sensation en déclarant vouloir "signer l'acte de décès de la Françafrique", dénonçant la dilapidation de l'aide de la France par certains potentats africains. Les vigoureuses protestations des intéressés, notamment le président gabonais Omar Bongo, avaient abouti, en mars, au remplacement de M. Bockel par M. Joyandet, par ailleurs peu apprécié du ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner.
En trois mois, le nouveau secrétaire d'Etat a visité une vingtaine de pays, principalement africains. Son tout premier voyage, en avril, avait été réservé au chef de l'Etat gabonais, afin de "mettre fin à une ambiance pas très bonne", s'est justifié, jeudi, M. Joyandet. A présent, il s'agit de "mettre fin à une certaine période de naïveté" et, "loin du discours compassionnel", d'"accompagner l'Afrique qui marche, l'Afrique qui entreprend".
Parmi les "chantiers" annoncés, celui visant à "conforter l'audiovisuel extérieur" invite ainsi RFI, TV5 et France 24 à mieux couvrir "les bonnes nouvelles en provenance du continent". Mais l'essentiel, pour le nouveau secrétaire d'Etat, est désormais d'"encourager l'initiative des acteurs économiques tant africains que français".
Alors que les traditionnelles positions françaises sont affaiblies par le recul drastique et déjà ancien des budgets de coopération, ainsi que par les appétits asiatiques, M. Joyandet affirme que la France doit "réaffirmer ses ambitions". "Sinon, le nouveau frémissement sera happé par nos concurrents", prévient-il.
Dans ce but, 1 milliard d'euros supplémentaires va être "engagé" chaque année par l'Agence française de développement (AFD), soit une augmentation de 25 %. Cette annonce, déjà partiellement faite par Nicolas Sarkozy au Cap (Afrique du Sud), concerne pour la moitié la distribution de prêts bonifiés à des "jeunes Africains qui veulent entreprendre chez eux".
Le montant de ces prêts entrera dans le calcul de l'aide publique au développement sans ponctionner le budget de l'Etat. La mesure doit s'accompagner d'une réforme de l'AFD dont l'autonomie à l'égard des choix de l'Etat est critiquée.
Alain Joyandet souhaite aussi "relancer l'agriculture" et "valoriser le rôle des femmes dans l'économie". Il a annoncé la "multiplication par trois" du nombre de volontaires français "sur le terrain" et une augmentation de la part de l'aide publique au développement transitant par les organisations non gouvernementales (ONG).
La prestation du secrétaire d'Etat n'a pas convaincu l'ONG Oxfam France-Agir ici, qui reproche à Alain Joyandet de "n'envisager l'aide au développement qu'au service des intérêts de la France". Il n'a pas prononcé le mot "pauvreté", poursuit Oxfam, et "refuse le moindre effort budgétaire", contrairement aux objectifs de l'ONU.
Alors que la France a réduit de 15 % son budget d'aide au développement en 2007, le secrétaire d'Etat a reconnu que le pays avait "du mal" à tenir ses engagements, mais en avait "la volonté".
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