Des combattants des Forces nouvelles patrouillaient, vendredi après-midi 29 juin, dans les rues de Bouaké, la "capitale" des rebelles ivoiriens, après l'attaque qui a visé, le matin, l'avion de la présidence de la République dans lequel se trouvait le premier ministre, Guillaume Soro. Après son atterrissage, l'appareil, un Fokker-100, roulait en direction du parking lorsqu'il a été touché par deux roquettes et des rafales d'armes automatiques tirées quelques minutes durant de l'extrémité d'une piste.
Si le chef du gouvernement – et secrétaire général des Forces nouvelles – a été évacué sain et sauf vers sa résidence, dans la banlieue de Bouaké, l'attaque a fait au moins trois victimes parmi les passagers de l'avion (le chef de la sécurité du premier ministre et deux membres du protocole), ainsi que douze blessés, dont un gravement atteint, selon la presse ivoirienne. Les blessés ont été pris en charge par la force "Licorne" à Bouaké et soignés dans un hôpital de campagne de l'armée française.
L'identité, tout comme le nombre des assaillants, sont inconnus. Selon les rares témoignages recueillis, le petit commando a rapidement quitté la zone broussailleuse de l'aéroport sans être intercepté par les militaires des Forces nouvelles déployés dans les parages.
CONDAMNATIONS UNANIMES
L'attaque a fait l'objet de condamnations unanimes, en Côte d'Ivoire et à l'étranger. Elle "met en péril le processus de paix", a estimé un responsable de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), dont la Côte d'Ivoire est membre. A Paris, le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, a souligné "l'impérieuse nécessité de poursuivre le processus de réconciliation engagé".
Le fait est que l'attentat manqué contre Guillaume Soro intervient à un moment clé de la réunification du pays, coupé en deux depuis la tentative de coup d'Etat de septembre 2002. Si le premier ministre était en déplacement à Bouaké vendredi, c'était pour officialiser le redéploiement de l'administration judiciaire dans le fief des anciens rebelles. Une quinzaine de juges devaient être installés. Or, ce sont ces magistrats qui ont en charge les "audiences foraines", un processus laborieux destiné à actualiser les listes électorales avant les élections générales de 2008.
Pour marquer la normalisation définitive de la situation au nord, le président ivoirien, Laurent Gbagbo, a prévu de faire le déplacement à Bouaké, le 5 juillet, pour une cérémonie symbolique au cours de laquelle seront détruites des armes remises par les rebelles. Pour ce qui doit être sa première visite dans la région depuis cinq ans, le chef de l'Etat a invité les présidents du Burkina Faso, Blaise Compaoré, longtemps accusé d'avoir soutenu les rebelles, et d'Afrique du Sud, Thabo Mbeki, proche de M. Gbagbo, qui ont tous deux joué les médiateurs dans la crise ivoirienne.
Le retour de l'Etat en zone rebelle et le rapprochement entre le président ivoirien et le chef politique des insurgés, promu à 35 ans chef du gouvernement, n'est pas du goût de tous dans les rangs rebelles. Depuis la sécession du nord de la Côte d'Ivoire, des "seigneurs de la guerre" se sont imposés. Ces anciens militaires promus commandants de zone ont réquisitionné les bâtiments officiels (préfectures, mairies, casernes) et se livrent, pour une poignée d'entre eux, à des trafics d'or et de diamants. Le racket sur les routes est une autre source importante de profits.
La perspective du démantèlement de la zone nord est une catastrophe pour ces chefs de guerre. Depuis plusieurs semaines, la presse ivoirienne s'est fait l'écho de leurs réticences à voir disparaître peu à peu leurs privilèges et leurs rentes. D'autres responsables ont accusé à mots couverts Guillaume Soro d'avoir "trahi" la cause rebelle en se rapprochant du pouvoir.
Le plus probable est donc que les auteurs de l'attentat viennent des rangs rebelles. "Ce sont des desperados décidés, pour des raisons politiques ou financières, à faire capoter la normalisation du pays incarnée par Guillaume Soro", estime un diplomate occidental. Mais l'attentat a échoué, et la présidence ivoirienne ne paraît pas disposée à remettre en cause la visite de Laurent Gbagbo à Bouaké.
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