En Côte-d’Ivoire, on les appelle les
«forces du désordre». Comment faut-il les appeler en Guinée,
pays d’Afrique de l’Ouest à la dérive, où, en janvier et en février,
policiers et militaires ont réprimé de manière aveugle des
manifestations en faveur d’un changement démocratique ? Bilan : au
moins 130 morts et plus de 1 500 blessés.
Alors qu’une commission
nommée en mai par le nouveau Premier ministre, Lansana Kouyaté, est
censée enquêter sur ces événements, l’association Amnesty International
a récemment publié un rapport accablant, «Guinée : les militaires
tiraient partout en rafale». Fondé sur des entretiens avec des victimes
ou des témoins directs des exactions, ainsi que sur des sources
médicales, ce document jette une lumière crue sur les agissements d’une
armée placée sous l’autorité directe du président, Lansana Conté, au
pouvoir depuis 1984. Des soldats qui tirent sur des enfants, sortant de
l’école, perçus comme une menace, d’autres qui «rafalent» à
l’aveuglette dans des cours privées, tuant un gamin qui jouait. Des
bérets rouges de la garde présidentielle qui visent la tête des
manifestants dans les rues de la capitale, Conakry, ou leur tirent dans
le dos : le rapport est sans appel. Amnesty fait aussi état d’un «certain nombre de viols», dont l’ampleur reste
difficilement quantifiable en raison du silence des femmes qui
craignent d’être rejetées par leurs proches. Enfin, l’association
évoque aussi les violences commises par la population, citant le cas
d’un gendarme lynché dans la ville de Kankan, le 10 février 2007.
Selon Amnesty International, la commission aura du mal à mener à bien son enquête sur ces événements dramatiques :
«Le pays s’est installé, depuis des décennies, dans un climat de totale impunité.»
Pour l’heure, la situation est calme en Guinée. Mais, souligne un
analyste, la population montre des signes d’impatience face au statu
quo politique et à l’absence de progrès économique. Or «l’état de quasi-anarchie dans lequel se trouve l’armée guinéenne» constitue
«une menace permanente» pour la population. Sur ce point aussi, rien n’a changé depuis les manifestations violemment réprimées de l’hiver dernier.
Par THOMAS HOFNUNG (Libé)
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