Les deux principaux actionnaires des Industries chimiques du Sénégal (Ics) sont finalement parvenus à accorder leurs violons sur des points déterminants pour la bonne marche de l’entreprise. Une nouvelle page s’ouvre ainsi dans l’histoire de la société spécialisée dans la production d’acide phosphorique, après plus de deux ans de crise.
C’est sur les bords de La Seine que partenaire indien et Etat sénégalais ont décidé, vendredi dernier, de matérialiser la recapitalisation, avec comme point d’orgue la signature aujourd’hui de l’accord qui devra sauver les meubles. Outre la décision d’injecter 80 millions de dollars, environ 40 milliards de francs, les Indiens, à travers Iffco, se sont engagés à céder 20 % de la production d’acide phosphorique pour la fabrication d’engrais. Les Ics produisaient 600 mille tonnes d’acide phosphorique, dont les 90 % étaient destinées à l’exportation vers l’Inde. Les 10 % restants étaient transformés en engrais à Mbao.
Autre acquis obtenu à Paris, les prix de l’acide phosphorique seront désormais indexés sur les cours mondiaux. ‘Ces points d’accord constituent une bouffée d’oxygène pour les Ics. Si tout cela se matérialise, on aura engrangé des acquis dans le plan de sauvetage de l’entreprise. En ce qui concerne les prix, il y avait déjà un plan qui a été élaboré dans ce sens, mais n’a jamais été appliqué à cause du contentieux avec Godart, empêchant la société de produire au summum de ses capacités pour profiter de la hausse actuelle du prix de l’acide. Les Ics auraient dû profiter des cours mondiaux. Aujourd’hui, le prix Fob de la tonne d’acide est à 510 dollars (environ 255 000 fCfa) contre 320 (environ 160 000 fCfa) entre 2003 et 2004. Malheureusement, nous avons été paralysés pendant des mois. Si l’Etat a réussi à avoir ces résultats, nous ne pouvons qu’applaudir, en attendant d’avoir les termes de l’accord global sur la recapitalisation’, souligne un travailleur.
Si les Ics produisaient aujourd'hui normalement, elles auraient gagné beaucoup d'argent. L'environnement international caractérisé par une hausse de plus de 80 dollars la tonne sur le prix de l'acide, devait être l'opportunité rêvée pour renflouer les caisses. Les Ics auraient pu gagner près de 48 millions de dollars de plus sur les 600 000 tonnes de production. Il y a de cela deux ans, une telle opportunité n'était pas offerte à la société.
A titre illustratif, le prix de l’acide est passé de 320 dollars en 2004 à 450 dollars en 2006. Une hausse qui s’est poursuivie cette année sur le marché international, avec 510 ou 512 dollars le prix Fob (Free on boad).
En 2006 déjà, les Ics devaient commencer à enregistrer des bénéfices de l’ordre de 10 milliards de francs. Les prévisions de profit sont estimées aussi à 10 milliards de francs cette année, malgré des amortissements lourds de 22 milliards en 2004 à 17 milliards en 2007, et des frais financiers de 13 milliards et 7 milliards de francs dans la même période.
Les blocages des comptes à la suite du contentieux avec Jérôme Godart ont donc porté un rude coup à l’entreprise qui ne pouvait plus produire, voire importer vers le marché indien. Aujourd’hui, les Ics qui importaient 4 bateaux d’acide phosphorique par mois n’en importent vers l’Inde qu’un ou deux navires (C’est au mois de mai dernier seulement qu’il a vendu deux bateaux). Les recettes tirées de cette activité étaient estimées, avant la crise, à 240 milliards de francs l’année, à raison de 5 milliards de francs par bateau d’acide vendu.
La fixation des prix de l’acide ressemblait à une tarte arlésienne sur le dos de l'Etat sénégalais, actionnaire majoritaire (plus de 47 %). Le partenaire indien tirait beaucoup de la fixation des prix. Sous ce rapport, durant le conseil d’administration du premier trimestre 2005, l’annonce faite aux actionnaires et bailleurs de fonds portait sur une augmentation du prix de l’acide phosphorique pour la nouvelle campagne 2005/ 2006 de 45 dollars par tonne. Alors que les publications professionnelles (voir Internet) faisaient état d’une hausse de prix de 65 dollars par tonne. Entre 2004 et 2006, la hausse est de 130 dollars par tonne.
Le prix de l’acide phosphorique est déterminé chaque année lors d’une négociation entre les principaux fournisseurs américains et marocains, et le principal importateur, l’Inde. Iffco étant le principal producteur d’engrais en Inde.
Sur la base d’une exportation de 550 000 tonnes d’acide phosphorique pur par an, l’addition est lourde : 11 millions de dollars américains. L'équivalent de 6 milliards 50 millions de francs par le fait du différentiel par rapport au prix international déjà affiché. Comment se faisait-il que les Ics ne bénéficiaient que d'une augmentation de 45 dollars par tonne alors que le prix sur le marché mondial, la hausse était de 65 dollars par tonne.
L’accord intervenu, après d’âpres négociations avec les Indiens, sur la fixation des prix de l’acide est un gain de plus pour les négociateurs sénégalais. Qu’est-ce que l’Etat a concédé en retour ? Moutus et bouche cousue. Le moins que l’on puisse dire est que le ministre de tutelle, en allant à Paris, s’était armé des directives du président Wade. ‘Le ministre (Me Madické Niang, Ndlr) a pesé sur les négociations. Nous avons voulu préserver les intérêts du Sénégal et sauver le partenariat avec Iffco. Ce qui est fait aujourd’hui. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Sauver l’entreprise était le plus important. Nous sommes sur la bonne voie, dans l’intérêt économique du Sénégal. L’activité engrais va continuer, avec l’appui de l’Inde. C’est un accord équilibré qui sera matérialisé demain (aujourd’hui). Les deux ont voulu sauver l’entreprise’, souligne un administrateur.
Les Ics ont pour principaux actionnaires l'Etat sénégalais (47,4 % du capital), Iffco (Indian farmers fertilizer coopérative, Inde, 14,3 %), le gouvernement indien (9,97 %), la Scpa (Société commerciale des potasses et de l'azote, France, 4,8 %), la Côte d'Ivoire, le Nigeria et le Cameroun.
Avec la recapitalisation, Iffco deviendra actionnaire majoritaire. Il s’est engagé à verser 40 milliards de francs, en échange du contrôle du management de la société.
Johnson MBENGUE (Walf)
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