C'EST une première. Le parquet de Paris a décidé d'ouvrir une enquête
préliminaire contre deux chefs d'État, piliers historiques de la
relation Afrique-France. Omar Bongo (Gabon) et Denis Sassou N'Guesso
(Congo) sont tous deux soupçonnés de faits de « recel de détournements de biens publics ». Ils posséderaient en France des biens importants dont ils ne sauraient justifier la propriété.
La décision d'ouvrir une enquête préliminaire a été prise par le
parquet de Paris au début de la semaine, après examen d'une plainte
déposée en mars. Elle a été annoncée hier et a suscité un certain
étonnement, y compris auprès des initiateurs du dépôt de la plainte.
« Si j'ai été surpris ? Oui et non », reconnaît l'avocat William Bourdon, président de l'association « Sherpa », un réseau international de juristes signataire de la plainte avec deux autres associations, Survie et la Fédération des Congolais de la diaspora. « Oui, car il ne faut pas négliger la puissance du réseau»Françafrique*. Non, parce que, techniquement, cette plainte nécessitait a minima l'ouverture d'une enquête préliminaire. »
La plainte déposée par les trois associations repose sur un inventaire des propriétés en France des deux chefs d'État. Le président Bongo et sa famille disposeraient ainsi de la propriété d'un hôtel particulier et de quatre appartements, tous situés dans le XVIe arrondissement de Paris. Le président Sassou N'Guesso posséderait un appartement à Paris et un hôtel particulier de 700 m² dans les Yvelines, estimé entre 5 et 10 millions d'euros. Plusieurs biens immobiliers en région parisienne, dont un luxueux appartement de 550 m² à Courbevoie (Hauts-de-Seine), seraient la propriété de proches du président congolais.
« Biens mal acquis... »
« Ce n'est pas leur salaire de président qui peut expliquer les ressources considérables qui ont été nécessaires pour acquérir ces biens », relève Me Bourdon. La plainte déposée se réfère à des procédures internationales visant les deux chefs d'État sur des détournements présumés de biens publics. Pour les plaignants, qui veulent « mettre fin au sentiment d'impunité tranquille de ceux qui chaque jour appauvrissent l'Afrique en se constituant des patrimoines considérables en France et ailleurs », l'enquête devra établir les responsabilités pénales individuelles. Pour ce faire, la désignation d'un juge d'instruction s'impose rapidement.
De nombreux éléments de la plainte proviennent de rapports d'organisations internationales (ONU, OCDE, UE) et d'ONG (Transparency International, Global Witness, Plateforme dette et développement). En mars dernier, peu avant le sommet Afrique-France de Cannes, le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) avait répertorié les biens appartenant ou supposés appartenir à des dirigeants africains dans un rapport rendu public et intitulé « Biens mal acquis... profitent souvent » (*).
(*) Rapport disponible sur le site www.ccfd.asso.fr
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