Oumda Yacoub Adouma a perdu sa femme à la frontière. Il a pu, une nuit de 2003, glisser entre les mains des janjawids, ces redoutables "cavaliers de l'apocalypse" qui terrorisent l'est du Soudan ; elle est restée au Darfour, de l'autre côté, avec leurs trois enfants.
Oumda dessine pensivement des ronds parfaits dans le sable du camp de
Djabal, 15 200 réfugiés autour du bourg de Goz Beïda, au Tchad. Il a eu
des nouvelles de sa femme par la Croix-Rouge : elle se trouve dans un
camp du Darfour. Pas question d'aller la voir, bien sûr. Parce que les
janjawids et les bandits de grands chemins infestent la région et,
toussote Oumda, parce qu'il n'a pas eu l'occasion de lui annoncer qu'il
s'était remarié et qu'il avait un bébé.
L'histoire d'Oumda, 38 ans, est aussi étonnante
que difficilement vérifiable. Il est né dans le village d'Amdrabir, au
Darfour. C'est un Massalit, l'ethnie majoritaire de la région. Un jour
en 2003 - la date est floue, d'autant que les calendriers ne sont pas
les mêmes -, les avions du gouvernement soudanais sont arrivés. "C'étaient des Antonov, assure Oumda : ils ont bombardé le village, il y a eu 37 morts et 40 blessés. Tous ceux qui le pouvaient se sont enfuis."
C'est alors que sont arrivés les janjawids. A cheval, armés, et assez organisés : ils ont volé le bétail, emporté à dos de chameau tout ce qui était transportable, jusqu'aux tôles des toits. Brûlé ce qui restait, violé les femmes et tué les hommes qu'ils pouvaient rattraper. L'un des fils d'Oumda est mort ; il avait déjà perdu trois de ses sept enfants, emportés par les maladies.
Personne ne sait trop qui sont ces janjawids, dont les réfugiés parlent avec effroi. Des cavaliers arabes, sans doute, mais pas seulement. Outre les rivalités ethniques traditionnelles et l'éternel conflit entre nomades et cultivateurs, le régime soudanais se sert de ces milices pour couper les lignes d'approvisionnement de groupes rebelles à Khartoum, longtemps poussés par le Tchad voisin.
Oumda connaissait au moins un janjawid. "Il s'appelle Al-Khali Oumar, c'est un Arabe, je le connaissais très bien." Enfant, Ouma gardait les bœufs avec un gamin de son âge, un petit nomade. Qui a un peu grandi, depuis. "Il m'a dit qu'il devait me tuer, explique Oumda : il était avec deux autres cavaliers. Il m'a emmené dans un coin, il a tiré plusieurs fois en l'air, et m'a dit de me cacher." Al-Khali lui a donné 6 000 francs CFA (9 euros), avant de retourner au pillage.
"Toute sa famille faisait ça, explique Oumda, il était obligé de le faire aussi. Le Soudan veut utiliser les Noirs comme esclaves, ils ne veulent plus que des Noirs habitent là-bas." Il est resté caché des heures pour attendre la nuit, en bénissant sa bonne étoile de berger, et a entrepris sa longue marche vers la frontière.
Là, il a retrouvé des voisins du village. Tous ont été accueillis par les organisations non gouvernementales (ONG) et sont passés pendant plus de six mois de camp en camp, du côté de Adé, dans des conditions difficiles.
Les janjawids multipliaient les raids sur la frontière. "Les janjawids violaient les femmes qui sortaient chercher du bois, raconte Oumda, volaient ce qui restait de bétail, emmenaient avec eux les femmes les plus jeunes." Les rescapés ont été conduits par les ONG en camion jusqu'au camp de Djabal, plus loin à l'intérieur du Tchad. Oumda y est arrivé parmi les premiers, en juin 2004.
Désormais, Oumda est devenu l'un des trois chefs du camp, responsable des réfugiés massalits. Le camp, construit par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) est bien géré. Un effort particulier a été porté sur les problèmes de santé et d'hygiène, sous la responsabilité de Coopi, une ONG italienne.
Les différentes ethnies cohabitent à peu près sans heurts, mais des femmes continuent à être violées en allant ramasser du bois dans les collines. Les réfugiés accusent encore les janjawids, mais il y a d'autres prédateurs dans la région.
Comme ses frères, Oumda languit de retourner au pays. "Ici, je suis mal à l'aise, nous sommes comme en prison. Je retournerai au village dès que la paix sera revenue." Il a bien conscience que cela risque d'être long. "Dieu connaît la date", se rassure-t-il.
En attendant, il donne des cours d'arabe.
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