Au plafond de la mairie d'Hamdallay, un quartier populaire de la capitale malienne, Bamako, trois ventilateurs fatigués peinent à rendre supportable l'atmosphère de four. Mais, à la veille du scrutin présidentiel du dimanche 29 avril, la fièvre électorale n'y est pour rien. Le Mali, jeune démocratie réputée exemplaire, va voter. Mais le coeur n'y est pas. Un jour férié spécial a été décrété, mercredi, pour inciter les citoyens à aller retirer leur carte d'électeur, alors que 40 % d'entre eux (70 % même dans la capitale) ne l'avaient pas encore fait.
Yoro Diallo, 23 ans, sort de la salle municipale muni de son document, mais délesté de toute illusion. "J'ai pris ma carte car je ne veux pas qu'elle serve à faire voter quelqu'un d'autre à ma place. Mais je ne m'en servirai pas. Aucun des huit candidats ne m'inspire confiance. "ATT" (surnom d'Amadou Toumani Touré, 58 ans, le président sortant) gagnera, car c'est lui qui organise les élections. Il a fait de son mieux, mais il n'a pas créé d'emplois et le riz est devenu trop cher", résume cet étudiant en comptabilité.
A bien des égards, la campagne électorale malienne tranche pourtant avec certaines mauvaises habitudes du continent : un affichage diversifié, une liberté d'expression remarquable, des sujets de fond abordés - école, logement, émigration - et pas la moindre violence à l'horizon. Le pays, avec ses 5 % de croissance, ses nouvelles routes bitumées, sa très accueillante capitale et sa stabilité politique récompensée par l'aide américaine et européenne, présente bien. Le président "ATT" n'a-t-il pas passé son quinquennat entre inaugurations et poses de premières pierres ?
"Ce tintamarre complaisamment médiatisé cache un profond immobilisme", tempère Tiebilé Dramé. Cet ancien proche du président, aujourd'hui candidat contre lui, brocarde "Pierre Ier du Mali" en rappelant que le pays stagne au 175e rang - sur 177 - du classement du développement des Nations unies. Les étrangers, eux, baissent la voix pour évoquer la corruption endémique.
"Notre bonne réputation nous pénalise : dès que nous formulons des critiques, on nous répond que c'est pire ailleurs", remarque Toumani Djime Diallo, porte-parole d'Ibrahim Boubakar Keita ("IBK" pour les Maliens), président de l'Assemblée et principal adversaire du président sortant.
"Institutions émasculées", "culte rampant de la personnalité" : à l'approche du scrutin, l'opposition hausse le ton, allant jusqu'à accuser le "général candidat" de préparer un "coup de force électoral", assurant que le fichier électoral est manipulé et que des bulletins vierges ont été distribués à l'avance.
L'homme dont ils cherchent à déboulonner la statue n'est rien de moins qu'un héros national. En 1991, le général "ATT" a participé au renversement de la dictature et remis le pouvoir à des civils issus des urnes. Finalement élu lui-même en 2002, il brigue, dimanche, un second et dernier mandat. Auréolé de son prestige, Amadou Toumani Touré n'est affilié à aucun parti. Soutenu par une coalition de 44 mouvements, il affronte principalement quatre candidats qui ont promis de s'allier contre lui au second tour.
L'ancien commandant de parachutistes s'est révélé plus fin politique que ne le pensaient ses concurrents. Se revendiquant d'une coutume ancestrale excluant le conflit frontal, "ATT" a bousculé le jeu en instaurant un gouvernement "au consensus", prétendant associer au pouvoir toutes les nuances de l'éventail partisan.
Le piège s'est refermé sur des opposants anesthésiés. "Après avoir bouffé à table pendant cinq ans, peuvent-ils aujourd'hui la quitter en prétendant que les assiettes étaient sales ?", résume crûment Mamadou Seydou Traoré, secrétaire général du ministère de l'administration territoriale (intérieur). "ATT nous a fait Gros-Jean comme devant", reconnaît M. Dramé, en jurant qu'on ne l'y reprendra plus. Objectif immédiat : mettre le président en ballottage. Près de 7 millions d'électeurs maliens, largement occupés à assurer leur subsistance quotidienne, diront dimanche s'ils se prennent à ce jeu.
Philippe Bernard (Le Monde)
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