Par Christine Ollivier
PARIS (AP) - Le président Jacques Chirac a décrété mardi en Conseil des ministres l'état d'urgence, qui va permettre aux préfets, à compter de minuit, d'instaurer des couvre-feux dans les banlieues françaises qui ont été le théâtre de violents incidents depuis douze nuits.
"J'ai décidé, en application de la loi du 3 avril 1955, de donner aux forces de l'ordre des moyens supplémentaires d'action pour assurer la protection de nos concitoyens et de leurs biens", a dit mardi Jacques Chirac en Conseil des ministres. "C'est nécessaire pour accélérer le retour au calme." Ses propos étaient rapportés par le porte-parole du gouvernement Jean-François Copé.
"Je vous demande de mettre en oeuvre ces mesures au plus vite, dans un esprit de responsabilité et de respect", a ajouté le chef de l'Etat.
Un second décret simple - ne nécessitant pas un passage en conseil des ministres - devait être pris "dans la journée" pour fixer la "liste des communes" où ces mesures pourront s'appliquer, a précisé Jean-François Copé.
Le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, devait réunir en début d'après-midi les préfets de zone pour étudier avec eux les modalités d'application de la loi du 3 avril 1955. C'est eux qui détermineront, au sein des communes concernées, les zones précises où s'appliquera le couvre-feu.
"L'esprit de la mesure, c'est de prendre des décisions qui sont sur mesure, au cas par cas et adaptées à chaque situation", a souligné le porte-parole du gouvernement.
La loi du 3 avril 1955, votée en pleine crise algérienne, est une procédure rarissime qui permet l'instauration de "l'état d'urgence", en cas de "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public" ou "d'événements présentant par leur nature ou leur gravité le caractère de calamité publique" (inondations, tremblements de terre...).
L'état d'urgence donne notamment pouvoir au préfet d'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux ou aux heures fixés par arrêté. Il peut aussi instituer par arrêté des "zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé", et interdire de séjour dans tout ou partie de son département toute personne "cherchant à entraver l'action des pouvoirs publics".
Le ministre de l'Intérieur peut quant à lui "prononcer l'assignation à résidence" d'une personne "dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics", fermer des salles de spectacles, lieux de réunion, débits de boissons, interdire les rassemblements ou d'ordonner la remise des armes et munitions.
"Les perquisitions seront possibles chaque fois que nous aurons la suspicion de détention d'armes", a souligné Nicolas Sarkozy dans la cour de l'Elysée. "Nous pourrons alors agir de façon préventive pour éviter des incidents."
L'état d'urgence ne peut être décrété qu'en Conseil des ministres, pour des zones précises, et seulement pour douze jours, c'est-à-dire dans ce cas "jusqu'au 20 novembre inclus", selon M. Copé. Une prolongation doit être autorisée par une loi votée par le Parlement.
Le gouvernement envisageant apparemment que la crise dans les banlieues pourrait durer, le président Jacques Chirac réunira un nouveau Conseil des ministres "avant la fin de la semaine pour adopter (un) projet de loi" permettant de prolonger, si nécessaire, le couvre-feu, selon Jean-François Copé.
"La décision de procéder à l'application de la loi de 1955 et au décret d'état d'urgence, (Jacques Chirac) l'a décidée hier (lundi) après en avoir longuement parlé avec le premier ministre et le ministre de l'Intérieur", a-t-il précisé.
"La primauté de la loi va nécessairement de pair avec la justice", a souligné le chef de l'Etat en Conseil des ministres. "Ce n'est qu'en donnant toute sa réalité à ce principe fondamental de la République que nous dépasserons la situation actuelle."
Il a donc demandé que les mesures annoncées lundi soir par Dominique de Villepin sur TF1 soit "mises en place très rapidement". "Nous avons le devoir d'agir pour tous ceux qui respectent la loi et la République mais qui ressentent que leur horizon est bouché par la relégation sociale, le racisme et les discriminations", a dit Jacques Chirac.
L'état d'urgence a été appliqué en Algérie par la loi du 3 avril 1955 pour une période de six mois, prorogée ensuite pour six autres mois. A la suite du mouvement de sédition du 13 mai 1958 à Alger, l'état d'urgence a été appliqué en métropole pour faire face à un éventuel coup de force des putschistes. Par la suite, il n'a été utilisé qu'en décembre 1984 pour rétablir l'ordre en Nouvelle-Calédonie.
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