"Habré devient un sursitaire. Pendant ces deux mois, il sera sur des charbons ardents, attendant de savoir si l'épée de Damoclès qui plane sur sa tête va s'abattre", rapporte, lundi 28 novembre, Le Quotidien, journal sénégalais. L'ex-président tchadien Hissène Habré va en effet continuer à séjourner au Sénégal en attendant que l'Union africaine (UA) décide de son sort, en janvier 2006. La veille, le ministre sénégalais de l'Intérieur avait décidé de le mettre "à la disposition du président de l'UA", ce qui supposait une expulsion imminente vers le Nigeria, puisque c'est le président nigérian Olusegun Obasanjo qui dirige actuellement l'UA. Vendredi 25 novembre, la justice sénégalaise s'était déclarée incompétente pour décider de l'extradition d'Habré vers la Belgique. L'ex-président du Tchad, réfugié au Sénégal depuis quinze ans, avait été arrêté mardi 15 novembre en raison du mandat d'arrêt international lancé contre lui le 30 septembre dernier après qu'une plainte eut été déposée voilà six ans devant la justice belge sur la base de la loi de compétence universelle en vigueur à l'époque en Belgique, et qui reste aujourd'hui en vigueur même si elle a été depuis modifiée. L'ancien président tchadien est accusé d'avoir commis des "violations graves" des droits de l'homme durant sa présidence (1982-1990). "Les autorités de notre pays sont coupables de non-respect de la parole donnée, d'escamotage de leur responsabilité et de manque de courage face à un pays européen qui n'a de leçon de morale ou de justice à donner à personne et encore moins à un pays africain. A notre grande honte, les autorités sénégalaises s'esquivent derrière le président de l'Union africaine pour régler un problème qui les concerne au premier chef", regrette le journal sénégalais Sud Quotidien. Ainsi, "le Sénégal capitule devant les menaces inamicales de la justice belge d'attraire le Sénégal devant le tribunal de La Haye et abdique ses propres valeurs devant la cravache belge", continue le quotidien. "Nous ne comprenons pas l'attitude des autorités de notre pays dans cette affaire. Elle n'est pas conforme à la loi immuable de l'hospitalité sénégalaise, elle trahit nos valeurs de culture et de civilisation négro-africaines, elle est en porte-à-faux avec le sens de la décision rendue par la cour d'appel du Sénégal. Quelle curieuse manière, en effet, de se défausser de ses responsabilités sur le président de l'Union africaine, en lui repassant le cas Habré, au lieu de s'en tenir au verdict de sa propre justice !" Le quotidien sénégalais Wal Fadjri revient sur l'idée que les autorités sénégalaises ont eue samedi d'expulser l'ancien dictateur vers le Nigeria. "Si l'Etat est revenu sur l'arrêté d'expulsion d'Hissène Habré, c'est parce qu'il a senti une sérieuse menace peser sur cet arrêté. Non seulement une vieille loi dispose qu'un réfugié politique ne peut être extradé, mais il s'y ajoute que les Nigérians, qui ne savent déjà que faire du fardeau que constitue Charles Taylor (ex-dictateur libérien en exil au Nigeria depuis 2003), n'entendent pas s'encombrer de l'affaire Habré. En effet, c'est un décret présidentiel qui a accordé l'asile politique à Habré ; seul un autre décret présidentiel à la rigueur pourrait l'en priver", rappelle le quotidien. L'Inter, quotidien ivoirien, estime que "l'Afrique joue sa crédibilité" dans cette affaire. "Le président sénégalais Abdoulaye Wade, ne voulant pas supporter les conséquences de l'extradition d'Hissène Habré, a préféré se décharger de ce dossier en le confiant à l'Union africaine. L'UA constitue donc une porte de sortie pour le président sénégalais. Il aurait pourtant pu s'en tenir à la décision de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dakar, qui s'est déclarée incompétente pour se prononcer sur l'extradition de l'ex-président tchadien. Cette décision seule protégeait Abdoulaye Wade. Malheureusement, le chef de l'Etat sénégalais a de moins en moins d'intérêt à garder un ex-dictateur sur son sol." "Une chose est sûre, le cas Hissène Habré a quitté le terrain judiciaire pour emprunter les pistes sinueuses, et ô combien périlleuses, de la politique", commente L'Observateur Paalga. "Comment s'en étonner du reste, quand on sait qu'avant même que la cour d'appel de Dakar s'en lave les mains en bottant en touche, le président de la République, Abdoulaye Wade, avait annoncé la couleur, déclarant qu'en dernier ressort il consulterait l'Union africaine ?" rappelle le quotidien burkinabé. "Quelle que soit l'issue de ce feuilleton, on peut dire sans ambages qu'Hissène Habré est déjà en train de payer pour tous les torts qu'il est censé avoir causés à ses victimes. Une fois déclenchée, la procédure universelle, quelles que soient les pirouettes juridico-politiques pour s'en dépêtrer, n'abandonne jamais sa cible. En témoigne le cas Pinochet, que les justices espagnole et chilienne ne cessent d'inculper. Soixante ans après Nuremberg, premier tribunal à juger des cas de crimes contre l'humanité, le glas sonne pour les industriels de la torture et des liquidations de masse." | |
Hamdam Mostafavi |
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