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18 septembre 2007

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prao yao seraphin

Un coup d’État est un changement de pouvoir soudain, imposé par surprise, par une minorité utilisant la force. La technique de base du coup d'État consiste à s'emparer des organes centraux de l'État ou à les neutraliser, en occupant leurs lieux de fonctionnement qui sont aussi les lieux symboliques du pouvoir. Le coup d’Etat monétaire sera donc une manière soudaine d’imposer une monnaie et un régime monétaire à un Etat. Un peuple sans souveraineté est non seulement un peuple privé de liberté, mais un peuple menacé dans son existence [Jean-Marie Le Pen, Extrait du Meeting de Toulouse - 25 Mars 2007]. La souveraineté est le droit exclusif d'exercer l'autorité politique sur une zone géographique ou un groupe de peuples. La souveraineté sert de pilier à l'analyse de l'État et constitue le critère de distinction des différentes formes de gouvernement qu'il décrit. La souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République. La souveraineté est la qualité de l'État de n'être obligé ou déterminé que par sa propre volonté dans les limites du principe supérieur du droit et conformément au but collectif qu'il est appelé à réaliser[i]. Ainsi, l’on peut se poser la question de savoir si les pays de la zone franc sont des pays souverains puisqu’ils n’ont pas le pouvoir de battre monnaie, un acte politique qui détruit les fondements de cette souveraineté. Au surplus, ces pays ont en commun une monnaie imposée depuis la période coloniale. Le véritable débat, celui d’une réflexion féconde sur le lien entre monnaie et souveraineté, entre monnaie et développement a été occulté au profit d’un piètre combat pour des postes de gouverneur des banques centrales dont les manettes sont entre les mains de la France. Cette présente contribution sur le franc CFA constitue un appel à méditation des gouvernants des pays membres afin de donner un sens à la notion de souveraineté.

UN DETOUR HISTORIQUE IMPORTANT
Selon l’histoire des faits économiques, le franc CFA est né formellement le 9 septembre 1939[ii], lorsque dans le cadre de mesures liées à la déclaration de guerres, un décret instaura une législation commune des changes pour l’ensemble des territoires appartenant à l’empire colonial français. En fait le début de la seconde guerre mondiale va s’accompagner d’un dirigisme monétaire avec la mise en place du contrôle des changes à cette date. La zone Franc, en tant que zone monétaire caractérisée par une liberté des changes, est formellement créée. En réalité, ses principales caractéristiques étaient apparues entre les deux guerres. La gestion monétaire des colonies était assurée par des banques privées bénéficiant dans leurs zones respectives de privilèges d’émission. Nonobstant, la dislocation progressive de l’espace monétaire et commercial international dans les années trente, la montée en puissance généralisée du protectionnisme et l’enchainement des dévaluations compétitives provoquèrent de la part des puissances coloniales une réaction de repli sur leurs empires. Après l’échec de la conférence de Londres en 1933, les zones monétaires furent leur apparition. C’est ainsi que prit naissance la « zone sterling ». Un grand nombre de pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud vont rattacher leur monnaie au dollar pour former la « zone dollar ». La formation d’une zone économique impériale, protégé de la concurrence extérieure et fondée sur la complémentarité des productions coloniales et métropolitaines, passait par la création d’un espace monétaire commun. Avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale, naissait l’instauration d’une réglementation des changes valable pour l’ensemble des résidents de l’empire et la centralisation des réserves en devises au profit de la métropole. Le franc CFA est officiellement né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des colonies françaises d'Afrique ». Mais cette définition de la parité du Franc se fait avec une différenciation selon les secteurs géographiques. Nous avons alors trois unités distinctes avec le Franc des Colonies Françaises du Pacifique (FCFP), un Franc des Colonies Françaises d’Afrique (FCFA) et un Franc de la métropole valable également pour l’Afrique du Nord et les Antilles (FF). Le FCFP valait 2,40 FF et le FCFA 1,70 FF. C’est aussi l’occasion d’affirmer l’unité car le communiqué du ministre des Finances parle de « Constitution de la zone franc » et ce sera la première fois que le terme est utilisé officiellement. Certains pays ont choisi, lors de l'indépendance ou après, de quitter la zone franc coloniale : Algérie (1963), Maroc (1959), Tunisie (1958), Mauritanie(1973), Madagascar(1973), Guinée (1958), l’ex- Indochine (Cambodge, Laos, Viêtnam) en 1954. Le Mali l'a quittée en 1962 pour la réintégrer en 1984.

LES MOTIVATIONS IMPERIALISTES DE LA FRANCE

Il s'agit alors de restaurer l’autorité monétaire française dans ces territoires qui ont été isolés de la métropole durant la seconde guerre mondiale, et ont souffert de la raréfaction des échanges, et ont dû parfois créer des émissions locales appuyées sur d'autres devises que le franc français (par exemple le dollar US), voire accepter des émissions fantaisistes par les troupes armées, ou accepter la monnaie des occupants, comme ce fut le cas pour les protectorats et territoires français en Asie, alors que ces territoires, et les institutions financières locales publiques et privées, doivent gérer leurs dettes extérieures à la fin du conflit mondial. Leurs objectifs sont, bien entendu, concentrés sur l'organisation interne des Empires coloniaux, en particulier sur la facilitation des relations financières et commerciales entre la métropole et les territoires. Il s'agit toujours pour la France de faciliter l'intégration commerciale et financière des territoires à la métropole par le biais d'un régime de monnaie et de change. La perte de la convertibilité, non seulement lésait les investisseurs étrangers et les déposants, mais aussi rendait plus difficiles les échanges de biens et de capitaux avec la métropole. Un des objectifs des administrateurs était d'assurer la convertibilité pour maintenir les liens économiques avec la métropole. De plus, les colons se mobilisent pour réclamer la même sécurité pour leurs avoirs locaux et leurs avoirs métropolitains, ce qui passe par une fixation du change. L’intérêt de la manœuvre est d’assurer une compensation maximale des règlements entre les deux économies et surtout de supprimer le change entre les deux monnaies. L’épisode de la communauté est du reste significatif du formalisme qui présidait à la conception gaullienne de la décolonisation. Le principe fédéral inspirant ce projet faisait une large place au domaine de gestion commune, « qui doit comprendre la défense, la politique étrangère, la direction de l’économie, la politique des matières premières et la monnaie »[iii]. Avec la zone franc, la France voulait conserver son aire d’influence, mais aussi, consolider des liens un temps menacés par les aspirations à la souveraineté. La construction de cette zone est due à des facteurs commerciaux (une partie importante des échanges se faisant avec la France), financiers (faciliter le paiement des flux financiers) et politique. Cette tutelle monétaire assure le contrôle des économies de la zone et garantit les bénéfices des capitaux français en assurant la convertibilité illimitée, la parité fixe avec l’euro et surtout la liberté des transferts.

FONCTIONNEMENT DE LA ZONE OU LES MECANISMES DE LA COOPERATION MONETAIRE

La coopération monétaire entre pays membres de la zone franc repose sur quatre principes : un institut d’émission commun à chaque sous-zone, une parité fixe, une garantie de convertibilité illimitée et la libre transferabilité interne.

v Un institut d'émission commun à chaque sous-zone


Les banques centrales de chaque sous-zone (Banque des États de l'Afrique centrale - BEAC, Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest - BCEAO, et Banque centrale des Comores - BCC) ont la tâche de conduire la politique monétaire de la sous-zone. Elles doivent aussi centraliser la totalité des avoirs extérieurs des États membres.

v Une parité fixe avec le franc français (maintenant l’EURO)


Cette parité est définie pour chaque sous-zone. Elle est restée stable de 1948 à 1994 pour les trois sous-zones (1 FF = 50 FCFA ; 1FF = 50 FC depuis 1979) et a été ajustée le 12 janvier 1994 (100 FCFA = 1 FF, la parité étant identique pour les sous-zones d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale, 75 F comoriens = 1 FF).

v Une garantie de convertibilité illimitée


Le Trésor français va innover en matière de régime de convertibilité. Alors que le Trésor britannique abandonne la gestion de la monnaie aux intérêts privés ou aux autorités locales, le Trésor français s’implique. Il garantit une convertibilité sans change, financée par ses propres ressources fiscales, et régulée par la coopération avec les Instituts d’émission locaux. Ce système est fondé sur le compte dit d’opérations dont disposent les Instituts d’émission dans les comptes du Trésor. Ce compte est un compte courant des Instituts auprès du Trésor où se fait la compensation des paiements entre les territoires et qui présente la particularité de pouvoir être débiteur (Vinay, 1988, Lelart, 1997, Guillaumont-Jeanneney, .1996)[iv]. La libre convertibilité de la monnaie de chaque sous-zone est garantie par le compte d'opération ouvert auprès du Trésor français et sur lequel les banques centrales ont un droit de tirage illimité en cas d'épuisement de leurs réserves en devises. En contrepartie de ce droit de tirage, les banques centrales doivent déposer sur le compte d'opération au moins 65 % de leurs avoirs extérieurs nets (réserves de change).Si les banques centrales peuvent recourir sans limitation aux avances du Trésor français, cette faculté doit, dans l'esprit des accords, revêtir un caractère exceptionnel. En cas de découvert prolongé du compte d'opération, les banques centrales sont tenues de mettre en œuvre des mesures de redressement (relèvement des taux directeurs, réduction des montants de refinancement, plafonnement des crédits aux États, ratissage des devises). Les variations de position sur le compte d'opération traduisent donc les résultats des paiements extérieurs. Les variations de la position extérieure sur le compte d'opération sont nettement inférieures à la fluctuation des avoirs extérieurs de chaque pays. Le flux vers la métropole étant plus important que celui vers la colonie, le Trésor dispose d’une position excédentaire en francs CFA.

v La libre transferabilité interne

À l'intérieur de chaque sous-zone, et entre chaque sous-zone et la France, les transferts de capitaux sont en principe libres. Les transferts des capitaux entre les zones monétaires ont fait l'objet de quelques restrictions au cours des années 90, afin notamment de lutter contre les mouvements de capitaux illicites (suppression du rachat des billets entre zones). Chaque franc CFA n'est utilisable que dans sa propre zone (par exemple, le détenteur de francs CFA « Ouest » ne peut les échanger dans un pays de la zone « Est », le transfert ne peut se faire que par voie bancaire, et donc sous contrôle. En clair, les francs CFA ne sont pas identiques, même s'ils ont le même sigle. Ils sont émis par des banques centrales différentes et leur signification n'est pas la même. Le CFA de la zone Ouest se décline ainsi : franc de la Communauté financière africaine. Celui de la zone centrale : franc de la coopération financière en Afrique centrale.

L’URGENCE DE LA RECONQUETE DE NOTRE SOUVERAINETE MONETAIRE

Alors que l’Asie et le Maghreb, après s’être débarrassés des vestiges du colonialisme, s’en sortent économiquement, les pays de la zone Franc hésitent toujours à rompre le lien colonial, comme s’ils doutaient de leurs propres capacités à prendre en charge leur destinée. Le coup d’Etat monétaire de la France est en passe de devenir une servitude monétaire volontaire. Pourquoi déposer nos réserves de changes dans un Trésor Français alors que nos économies ont des besoins croissant de financement. Si les pays membres ne disposent pas d’économistes ayant une connaissance certaine des mécanismes du marché des changes alors il serait temps de désespérer de l’Afrique. Evidemment que l’Afrique a des économistes rompus à la haute compétition intellectuelle. Pourquoi donc cet esclavage monétaire ? Il n’est plus souverainement juste de perpétuer la dépendance à l’égard de l’ancienne métropole au travers de la Communauté Financière Africaine et de sa " zone Franc CFA ". Cette monnaie étrange, nous est étrangère, elle n’est pas notre monnaie. Souvenons-nous de l’épisode de la dévaluation en 1994. La dévaluation du Franc CFA annoncée par la France en 1994, avant la convocation des Chefs d’État de la zone CFA, pour consultation. Le franc CFA est un instrument de domination de la France. Cette ingérence monétaire se retrouve au niveau de la gestion de nos banques centrales. L'autonomie des Banques centrales est tempérée par les prérogatives du Conseil des Ministres des différentes zones. En particulier, il revient à celui-ci d'arrêter la distribution du crédit. De plus, à l'échelle nationale, la répartition des quotas de crédit établis par la Banque et le Conseil relève de comités nationaux contrôlés par les gouvernements locaux. Elles disposent d’un conseil d’administration où chaque membre et la France ont une représentation égalitaire. Les administrateurs, à raison de deux, sont nommés par les Etats : ce sont de hauts fonctionnaires. Par exemple, La France dispose de deux représentants au Conseil d'Administration de la BCEAO comme n'importe quel pays membre. La France, aujourd’hui comme par le passé, continue d’intimider ceux qui confessent la mort du franc CFA. Déjà en 1963, prétextant d’une mutinerie des soldats, démobilisés de la guerre d’Algérie, un coup d’Etat est organisé contre le président togolais Sylvanus Olympio. Que reprochait-on à ce dernier ? D’avoir demandé en 1958 l’indépendance du Togo, sous mandat franco-onusien. Puis, une fois l’indépendance acquise en 1960, de vouloir réviser le contrat d’exploitation du phosphate togolais; d’avoir entrepris la diversification du partenariat économique avec d’autres États occidentaux, dont l’Allemagne, ex-métropole coloniale qui devait aussi le soutenir dans la création d’une monnaie nationale, en sortant de la Zone Franc. Les pressions financières, monétaires et politiques exercées pour que le Mali soit obligé de revenir dans la zone franc après sa sortie en 1962. A contrario, l’adhésion du régime dictatorial de la Guinée équatoriale à la zone BEAC n’a pu se faire, compte tenu de la situation désastreuse du pays, que grâce au paiement par la France de sa quote part à la BEAC. Dans le cas du mali, la France a dû, pour surmonter les réticences des états membres de l’UMOA, transformer en prêts à long terme avec différé d’amortissement le découvert du compte d’opération de l’institut d’émission malien, qui s’élevait à 850 millions de franc en 1984. Inscrite au budget du ministère de la coopération, cette opération expliquait à elle seule les deux tiers de l’accroissement de l’aide française au PMA en 1984. Au nom de la restauration de notre souveraineté monétaire, le prochain sommet de l’UEMOA doit se pencher sur l’avenir du franc CFA, une monnaie qui devient de plus en plus un goulot d’étranglement pour le développement de nos économies. Les dispositions et les règles régissant le franc CFA ne permettent pas au système bancaire de jouer son rôle de moteur du développement. Enfin pour préserver l’équilibre monétaire, les concours aux Etats ne doivent pas excéder 20% des recettes fiscales de l’exercice antérieur. Comme le fait remarquer Paul Fabra « peu de grands pays s’imposent une discipline aussi strict que celle que comporte le mécanisme de la zone franc. On est plus facilement orthodoxe pour les pauvres »[v]. Les pertes de change successives à la dévaluation de 1969 avaient été d’autant plus durement ressenties que la contribution des soldes positifs des comptes d’opérations à la défense du franc français n’avait jugé bon ni de les consulter ni de les indemniser. Les modifications des parités des francs CFA ne peuvent être décidées qu’à l’unanimité des pays membres de chaque union et après consultation de la France. . La zone franc porte la coopération monétaire au-delà des frontières de la définition théoriques, elle est le lieu où la France orchestre de façon permanente et ce, depuis la période coloniale, un coup d’Etat monétaire. Au risque de donner raison à ceux qui pensent que l’Afrique n’est pas rentrée dans l’Histoire, nous devons abandonner le débat puéril sur le gouvernorat des banques centrales pour créer des monnaies régionales puissantes et crédibles, pour aboutir à terme à la création d’une monnaie continentale.

Fasse Dieu que les pays de la zone franc comprennent que le chaînon manquant de leur développement est leur souveraineté monétaire.

Prao Yao Séraphin[vi]

Président du MLAN

www.mlan.fr
[email protected]




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[i] Cette définition retenue aujourd'hui en droit est celle énoncée par Louis Le Fur à la fin du XIXe siècle.

[ii] La France et le Royaume-Uni ayant déclaré la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939, les gouvernements britannique et français signèrent le 4 décembre 1939 l’accord financier anglo-français : cet accord fixe, pour la durée de la guerre et pour les six mois après la conclusion du traité de paix, le maintien du taux de change officiel à 176,50 francs français pour 1 livre sterling.

[iii] Charles de Gaulle, Discours et messages. Avec le Renouveau, 1958, 1958-1968, Paris, Plon, 1971, p.32, cité par P.Pastaud (1978).

[iv] Romain Veyrune (2002), Monnaie et convertibilité : trois expériences historiques, Document de Travail de la série, Etudes et documents

[v] Cité par Jacques Adda, Marie-Claude Smouts (1989), La France face au Sud : le miroir brisé.

[vi] Monsieur Prao Yao Séraphin est en instance d’une soutenance de Thèse sur les théories monétaires au CREPEM de Grenoble.

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